[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]I[/mks_dropcap]l y a des livres qui vous marquent le cœur, presque le corps. Des livres qui n’ont pas vieilli dans notre époque ou lorsque vous les rouvrez bien des années plus tard.
Il y a des livres, on ignore pourquoi, un beau jour se rappellent à vous. Alors, de nouveau, vous le prenez entre les mains, tournez ses pages et l’évidence refait surface.
Il y a ces livres qu’on pourrait conseiller toute une vie. Lambeaux de Charles Juliet fait partie de ceux-là. Ceux qui marquent une vie. Porteur d’un espoir immense quand on doute. Un phare dans la nuit noire.
Ce livre est celui de l’apprentissage. Tardif. Nécessaire. L’écriture pour poursuivre, pour vivre. Se replonger dans un passé plus douloureux qu’heureux, rempli de démons, de culpabilité, pour un jour pouvoir s’accomplir.
Ce livre est un hommage à ce monde paysan, ce monde dont on ne sort jamais. En théorie. Mais il est aussi un livre hommage à la mère l’esseulée et la vaillante, l’étouffée et la valeureuse, la jetée-dans-la-fosse et la toute-donnée. La mère, biologique et adoptive. La première qu’il lui a été enlevée à l’âge de trois mois. La folie. L’hôpital. La guerre. La mort. Cette mère rêvant d’une liberté qui n’était pas à sa portée. Cette jeune femme qui cherchait en elle les réponses. Lisant et relisant le seul livre qu’elle possédait. La bible. Aimant un homme qui connaîtra un destin tragique. Griffonnant des mots gardés cachés. Épousant un autre, silencieux, travailleur. Mère de quatre enfants, épuisée par cette vie à la fois vide et remplie.
Puis l’adoption de ce bébé, par la seconde mère, la seconde famille. Aimante. Celle qui lui aura donné la possibilité d’étudier. De devenir un enfant de troupe. Mais le passé resurgit, inconscient, les démons qui étaient ceux de la mère, deviennent les siens. Avec le temps, les morts bousculent les mots. Et les mots bousculent les morts. Comme un héritage, un prolongement de la mère biologique. Et poursuivre le rêve. Son rêve. Leur rêve.
Charles Juliet, de sa voix poétique, fouille au plus profond de l’être et de la mémoire. En sort ces lambeaux qui nous constituent. Lambeaux de chair, de mémoire. Lambeaux de l’être. Lambeaux du cœur. Fragments de vie.
Pour parler de la mémoire, on prend souvent comme référence Duras ou Ernaux, pour moi, Juliet est à leurs côtés cet anthropologue des souvenirs, ethnographe de la mémoire.
Lambeaux de Charles Juliet
Paru en 1997 chez Folio