Anthime est un adolescent timide et effacé, inséparable de sa sœur Héléna. Sa famille vient d’emménager dans une nouvelle banlieue, face à la maison de Joanna, jeune fille sans saveur qui s’entiche du jeune garçon. Grâce à un don exceptionnel pour la course, Anthime devient la coqueluche du collège et va bientôt porter sur ses jeunes épaules les espoirs de toute une région. Surnommé le Pélican et hissé au sommet par son entraîneur, il va pourtant chuter aux portes de la gloire, tirant ainsi un trait sur sa carrière et sur la belle Béatrice, sa mystérieuse camarade de classe.
Vingt ans et bien des kilos plus tard, le Pélican a épousé Joanna et s’est laissé emmurer dans les rêves de perfection de sa triste épouse.
Lors de l’enterrement de son entraîneur, chahuté par d’anciens camarades, il va relever un pari fou : traverser le pays en courant et tenter de redevenir, l’espace d’un instant, le Pélican.
Anthime n’irait pas en enfer simplement pour allumer sa cigarette. Il irait pour en rapporter des pierres fumantes et les porter dans ses poings le reste de sa vie. (p121)
On peut penser que le dernier roman de Cécile Coulon n’est rien de plus qu’une histoire de reconstruction mais c’est avant tout l’histoire d’une chute. Dans une langue limpide, pleine de rage et énergique comme la foulée de son héros, elle bâtit le mythe d’Anthime, adolescent taiseux et réservé dont le destin est toujours étroitement lié à quelqu’un ou quelque chose : viscéralement attaché à sa sœur, à son coach, étouffé par les attentes d’un public toujours plus exigeant puis prisonnier de son couple et d’un corps devenu une carapace, il va prendre la fuite pour tenter de redonner un souffle à son existence.
A travers le destin du Pélican, Cécile Coulon dénonce et fustige l’autel dressé pour ces champions éphémères, portés aux nues puis abandonnés pour l’éternité une fois leur heure venue. Anthime s’est offert et laissé dévoré par un public vorace qui n’a pas supporté de le voir défaillir et qui n’a pas voulu voir ce qu’il était vraiment : un homme fait de chair, de sang et de cœur.
J’ai marché à l’avant du troupeau pendant dix ans, je vous ai donné mon corps, ma vie, ma famille, ma nana. Je vous ai tout donné pour meubler vos discussions le dimanche, faire rêver vos enfants, vos enfants du même âge que vous avez protégés du monde extérieur en les collant devant la télévision. (p 237)
Pareil au pélican qui selon la légende perce sa propre chair et nourrit ses petits de son sang, Anthime s’est sacrifié pour ce public impossible à contenter, laissant à tout jamais une blessure impossible à cicatriser, la blessure du Pélican.
Cécile Coulon dresse avec talent un portrait sans concession d’une société cannibale, une fabrique de héros jetables, laissant derrière elle un incroyable gâchis. Le Cœur du Pélican est un livre fort et violent qui laissera le lecteur à bout de souffle. Une belle réussite.
Le Coeur du Pélican, Cécile Coulon, Viviane Hamy, 2015.
Samuel Pouvereau est l’auteur des illustrations de cet article. Retrouvez-le ici : Ma Vie est un Echec.