[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]an Fante (1944 – 2015) dit de lui : « Je crois qu’à tout prendre, ce type choisirait d’écrire plutôt que de respirer ». Cette phrase, tirée de l’introduction de Putain d’Olivia (réédition La Dragonne – 2019), n’est pas une simple formule quand on parle de Mark SaFranko et Fante, qui fut son ami, sait de quoi il parle. L’homme a écrit une centaine de nouvelles, un bon paquet de poèmes et d’essais, une dizaine de pièces de théâtre et publié autant de romans. L’année écoulée s’avère pour lui particulièrement riche en France au niveau éditorial puisqu’après la parution de Suicide chez Inculte au printemps, l’automne voit arriver quasi simultanément en librairie Putain d’Olivia cité plus haut et le volume qui nous intéresse aujourd’hui, Le fracas d’une vague (Kicking Books).
S’il s’est fait un nom en France avec le cycle Max Zajack, quadrilogie initialement publiée chez le défunt 13ème Note et en cours de réédition à La Dragonne, c’est une autre facette de son travail que nous présente ici ce recueil dirigé par Sam Guillerand, fin connaisseur de l’oeuvre de SaFranko, qui mène également en fin d’ouvrage un passionnant entretien avec l’auteur. Composé de six nouvelles et d’une douzaine de poèmes, Le fracas d’une vague s’éloigne sensiblement du « dirty realism », étiquette accolée à l’oeuvre de SaFranko depuis la publication de sa quadrilogie, forcément réductrice comme peuvent l’être toutes les étiquettes. L’auteur lui-même, dans la préface qu’il a rédigée à l’occasion, parle de ces textes comme des toutes meilleurs nouvelles qu’il ait pu écrire.
Plus encore que dans les précédents recueils que l’on a pu lire de lui (Léger glissement vers le blues ou Incident sur la 10ème avenue – La Dragonne), SaFranko délaisse la ville et plonge ses personnages au cœur d’une nature qui, sans être ouvertement hostile, sait se montrer inquiétante, propice à faire basculer une journée qui s’annonçait magnifique vers un cauchemar éveillé (Quelque chose dans l’eau). Le motel de Changement de vie, situé au cœur des Adirondacks, verra lui aussi ses protagonistes perdre leurs illusions, leurs espoirs d’un nouveau départ mais, ici, c’est l’humain qui ne se montre pas à la hauteur. C’est encore un motel qui se trouve au cœur de L’homme de la chambre 24, cet inconnu troublant terré dans sa chambre et qui va insensiblement bouleverser le destin d’Amy, la tenancière. Mark SaFranko développe ici ses talents de conteur et instaure une tension palpable, jouant habilement de la psychologie de ses personnages pour entretenir une ambiance sombre et pesante, dont il semble impossible de se défaire.
Trois autres nouvelles complètent la première partie de ce recueil, à commencer par Refrain maudit, qui, malgré sa noirceur, permet à l’auteur, également musicien de longue date, de mettre en scène un guitariste dont la carrière n’a jamais décollé malgré des débuts prometteurs. Le ton est ici nettement plus grinçant et l’on se surprendra à sourire devant l’évocation des tribulations de Rick Weston.
Vacances dans le sud, texte plus bref, est peut-être celui qui se rapproche le plus de ce qu’on avait pu lire de SaFranko précédemment et narre l’échappée belle d’un couple en roue libre, sur la route depuis deux ans.
Enfin, Le fracas d’une vague, concentre en trois pages tout le talent de l’auteur et il n’est que justice que cette nouvelle ait donné son titre au recueil. Une cité balnéaire fantomatique, un homme en deuil, une enseigne « Massage » sur une vitrine, une rencontre… Il ne faut que quelques lignes à SaFranko pour installer ici une atmosphère à la fois sensuelle et éthérée, profondément troublante, aux antipodes des textes qui l’ont fait connaître. Une fois passé l’effet de surprise, on se prend à regretter la brièveté du texte même si elle en fait paradoxalement la force. L’auteur touche ici indéniablement quelque chose de beau et de profond et fait de ce Fracas la nouvelle la plus forte et la plus sensible du recueil.
Précédant un entretien au long cours particulièrement intéressant, douze poèmes sont également proposés à la curiosité du lecteur français, les premiers de l’auteur publiés par chez nous. « Du genre direct et sans fioriture », comme le dit SaFranko lui-même dans sa préface, ces textes n’en constituent pas moins un complément essentiel tant ils éclairent l’ensemble de son oeuvre d’une lumière parfois crue mais indispensable pour en saisir les tenants et les aboutissants.
Le fracas d’une vague est donc à prendre comme une parution majeure en France pour les amateurs de SaFranko et l’on se devra de saluer ici la qualité du travail effectué à la fois sur le fonds par Sam Guillerand et sur la forme avec les superbes linogravures de Delphine Bucher qui illustrent l’ouvrage. Essentiel, donc, que vous connaissiez l’oeuvre de Mark SaFranko ou que vous souhaitiez la découvrir. Une belle réussite pour le label Kicking, habituellement spécialisé dans l’édition de disques punk-rock !