Tel Tarzan qui de liane en liane, nous évoluons de lien en lien. De lieu en lieu aussi, il suffit de retourner le u. C’est pratique. On peut aussi créer un lien avec un lieu, ou se rappeler un lieu grâce à un lien qui y a été noué ou dénoué. D’ailleurs, on utilise plus souvent le verbe tisser pour un lien, vu que ce sont les nœuds que nous nouons. Dès le plus jeune âge, on nous noue une nounou, avec qui on peut tisser des liens, en lieu et place d’un nœud, celui que nous avons dans le nombril, rendez-vous bien compte ! Nous sommes constitués dès la naissance autour d’un nœud qu’il serait assez fâcheux de défaire, au risque, tel un ballon de baudruche, de partir dans tous les sens jusqu’à être vidé de tout ce que nous contenions d’air et de toutes les saloperies qui s’entassent dans notre intimité corporelle. Quand nous grandissons et que nous allons de rencontre en rencontre, il est agréable de regarder les nœuds des personnes que nous aimons. Il y a des nœuds bien rentrés, et d’autres qui semblent vouloir s’échapper, il y a des nœuds qui retiennent des boulettes de coton ou de poils qu’il faut ôter le soir avant de se coucher, et d’autres qui restent constamment immaculés. Tisser un lien avec quelqu’un peut donc consister dans la récolte mutuelle de nos boulettes stockées dans nos nombrils et de se fabriquer une écharpe suffisamment grande pour qu’elle puisse nous réchauffer conjointement. Avec le temps, il y a des écharpes qui s’effilochent, alors immanquablement ce qui nous tenait serré l’un contre l’autre finit par se relâcher et nous éloigner. Il faut alors retricoter des écharpes avec d’autres personnes. Ou faire le choix de se fabriquer juste une écharpe pour soi, mais sans l’alliage d’un autre matériau que celui fabriqué par notre propre corps les scientifiques ont prouvé que cela tenait beaucoup moins chaud. Il est bien entendu possible – voire recommandé par l’URL (Union Révolutionnaire du Lien) – d’avoir plusieurs écharpes raccordées à un maximum de personnes possibles. Des écharpes plus ou moins chaudes et plus ou moins longues qui par leur superposition permettent de ne jamais s’enrhumer. Néanmoins, la production de notre nœud ne permet pas de créer une infinité d’écharpes, ou bien celles-ci seraient de piètre qualité. C’est ainsi, que, comme Tarzan, pour survivre dans la jungle, nous sommes bien heureux de pouvoir évoluer d’écharpe en écharpe, cela évite que l’on s’écharpe.
Barz Diskiant est l’auteur de La Colline à la montagne (La Bande à JJ, 2013), Monceau (EnQulture, 2011) et Soupe d’argile (2006).
Retrouvez aussi :
• la présentation du projet « Le Lien »
• le texte de Thomas Giraud, Tomber à l'(e)autre
• le texte de Isabelle Bonat-Luciani, Les contours ne tiennent que pour consoler
• le texte de Julien d’Abrigeon, Trope lien et trop plein
• le texte de Anna Dubosc, Rue Ganneron
La série se poursuivra dans quelques jours avec Elisa Shua Dusapin.