» [mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap] force d’être moi-même, j’avais fait mon malheur. A force d’être ce dont tout le monde rêvait, elle s’était forgé une réputation. »
Justine et Margot n’ont pas toujours été à l’opposé l’une de l’autre. Enfin, si, mais petites elles pouvaient au moins être amies et partager quelques brefs moments ensemble. Mais au lycée, pas question de se côtoyer. Margot est belle, très entourée, adulée même, elle ne manque pas de moyens financiers, part tous les étés sur des plages que ses longues jambes peuvent parcourir sans se lasser, s’affiche avec le copain parfait. Justine, elle, doit plutôt composer avec l’équation inverse : élève studieuse méprisée par les autres, avec une vie sociale quasi-inexistante, des parents qui ont du mal à boucler les fins de mois et un corps qui ne correspond pas aux critères de beauté nécessaires à la survie en milieu scolaire. Pourquoi tant d’injustice ? Justine rumine et rage souvent en silence en regardant Margot à la dérobée, depuis déjà plusieurs années. Alors quand un matin un enseignant leur apprend que Margot s’est suicidée, Justine n’a plus du tout envie de se plaindre ni de la jalouser, mais bien de comprendre pourquoi une telle chose est arrivée. Profitant de l’accablement général, elle va réinventer sa relation avec la disparue, se procurer ses journaux intimes, et ainsi découvrir ce que couvrait un tel vernis de perfection.
« La vérité est un piège, on la réclame, mais, au fond, qui peut la supporter ? »
L’adolescence n’est pas un long fleuve tranquille, ça non. Plutôt un jeune cours d’eau tout en remous et virages bouillonnant. Outre les manifestations hormonales de cet état, il y a ce chamboulement interne, explosif pour certains, imperceptible chez d’autres, qui régit les faits et gestes de ces adultes en devenir. Une dictature des émotions s’immisce alors, très vite exacerbée par celle, plus violente, des apparences. Et si cette dernière s’attache d’abord à l’aspect physique, vestimentaire, la souveraineté des paillettes trouve vite un terrain de jeux plus pervers, celui du milieu social, du contexte familial, de la place au sein de la hiérarchie pubère : la surabondance des réseaux sociaux a un effet boule de neige sur une victime potentielle, avec parfois les extrémités que l’on connait. Mais est-ce que cette course aux précoces faux-semblants n’est réellement qu’une mode de plus, ou peut-il s’agir dans certains cas d’une attitude nécessaire pour protéger ce qui peut l’être à un âge où tout vacille ?
Avec Le mur des apparences, court roman très saisissant, Gwladys Constant nous propose de disséquer le quotidien d’ados prêts à tout pour donner le change et conserver leur place dans le top fictif de leurs followers tout aussi virtuels. Dans une langue dure, incisive, en colère, Gwladys Constant laisse Justine fouiller la vie qui lui faisait tant envie, apprendre à mieux regarder ceux qui l’entourent, s’ouvrir à d’autres bafoué.e.s insoupçonné.e.s : Gwladys Constant la laisse grandir en somme, à travers un drame intime, résolument contemporain, et absolument pas anodin.
Une poignée de personnages quelque peu stéréotypés sont nécessaires au propos identitaire abordé entre les lignes, mais les dialogues eux semblent presque retranscrits d’une quelconque prise de son documentaire ou cinématographique. Une lecture brève pour une intrigue qui questionne longtemps. A placer dans les CDI de lycées, en bibliothèque, et dans le bazar de certaines chambres chaotiques.
A partir de 13 ans et pour tous les parents.
Le mur des apparences, de Gwladys Constant,
aux éditions du Rouergue, septembre 2018