[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]H[/mks_dropcap]ugues Leforestier et Nathalie Mann, dernièrement nommée aux Molière, forment un couple à la scène comme à la ville. Ce statut leur confère-t-il un atout ou une difficulté supplémentaire au sein d’un univers théâtral sans pitié et extrêmement concurrentiel ? Je me garderai bien de poser une question aussi galvaudée et vide de sens… ou peut-être que si. Pour côtoyer ces deux-là depuis leur première création, « Brigade financière« , une idée assez précise de la réponse m’apparaît comme une évidence.
Alors que vous dire de cette nouvelle pièce, Le projet Poutine, d’abord présentée comme il est de tradition, au Festival d’Avignon avec à la clé un carton plein et un excellent papier du Canard Enchaîné ? Une petite hésitation -pour ne pas dire angoisse- m’a pris quelques jours car votre serviteur Vents d’Orage avait été tellement enthousiaste dans sa chronique lors de leur passage au Ciné XIII Théâtre que les deux acolytes me sollicitèrent pour poser un œil, bienveillant mais non complaisant, sur ce qui, dix jours plus tard, s’avèrerait une des sensations fortes du plus grand rassemblement théâtral du monde.
[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]h bien le plaisir de retrouver aux Béliers Parisiens ces deux comédiens plongés dans ce théâtre du réel est intact. Même danse de séduction dangereuse, mêmes dos à dos, même combat mêlé d’attirance et de fascination réciproque… que voulez-vous, la nature humaine est complexe, multiple, paradoxale, contradictoire. Le charme et l’originalité de la pièce résident dans cette dualité ambiguë autant que dans la précision des recherches documentaires ayant présidé à l’écriture technique et tranchante du texte. Un décor austère, quelques photos projetées aux bons moments pour séparer les bêtes avant qu’elles ne s’entretuent ou ne tombent à nouveau dans le piège amoureux…
Puis un épilogue qui intervient brutalement, presque trop vite. La loi du plus fort est toujours la meilleure. Poutine, même s’il est montré là de manière moins caricaturale et monolithique que le font les médias (Leforestier pouvant se targuer d’approcher de plus près le personnage historique que la marionnette exhibée sur les chaines d’info continue), n’en demeure pas moins un guerrier politique brillant et détenant toutes les cartes en main pour faire plier ou briser les plus récalcitrants.
Et si nous partions à la rencontre de ce tandem aussi original qu’attachant ? Je vous embarque jusque dans les coulisses d’un maître du monde, rien de moins que cela :
Vents d’Orage : Heureux de démarrer aux Béliers Parisiens ?
Nathalie Mann : Oui, après un vrai succès à Avignon où 1500 spectacles sont en concurrences. Les retours du public étaient enthousiastes notamment parce que découvrant la trajectoire de Poutine au travers de faits réels et mêmes d’actualité puisque l’un des opposants évoqués dans la pièce a été assassiné depuis l’écriture. Seul le Procureur n’existe pas réellement mais les spectateurs se retrouvent projetés à Moscou, notamment grâce aux vidéos projetées pendant le spectacle. Nous avons eu de très beaux échanges à l’issue des représentations.
Hugues Leforestier : Ce qui me passionne dans le théâtre du réel, tient au fait que le public puisse apprendre des chose, voir dans les médias ce à quoi nous faisons référence. Poutine est un maître de la dialectique, capable d’intervenir sur tous les sujets, qui nous interroge aussi sur nos démocraties occidentales. Il nous tend un miroir alors même que nous le critiquons.
VdO : N’y a-t-il pas une filiation entre Brigade financière et cette nouvelle création ?
NM : Nous recevons effectivement des commentaires de même nature. Les spectateurs retrouvent avec plaisir des personnages bien réels au travers d’un travail très précis, étayé au service du propos artistique car malgré tout ils sont au théâtre !
HL : Quel que soit le thème abordé, l’humain est au cœur de notre travail. Donc nécessairement, le rapport entre les deux duos se font échos. Le mélange fiction-réalité permet de questionner Poutine et lui offrir la possibilité de se justifier. Ne dit-on pas que le diable ne sait pas qu’il est le diable. Par ailleurs il veut rester dans l’histoire et se sent contraint de faire quelque chose de grand comme Staline chercha en son temps à le faire quand aujourd’hui il ne représente plus rien.
VdO : Une écriture à 4 mains qui ne laisse que peu de place au metteur en scène ?
HL : Au contraire. J’écris seul, en tout cas dans la première phase. Ensuite Nathalie comme le metteur en scène font souvent des propositions qui peuvent contrer l’intention première pas tant pour me donner tort mais pour tendre davantage le texte, recentrer sur l’essentiel. En outre je me suis laisser quelques passages dans la pièce où je pourrai au besoin faire surgir des éléments d’actualité, Poutine étant un attaché de presse hors pair pour un projet comme le nôtre. Sans en révéler trop du contenu et de l’issue de la pièce, personne, pas même les dignitaires, comment un homme qui n’était rien à 46 ans deviendra un des hommes les plus puissants de la planète en à peine deux ans.
NM : Mais effectivement pour le découvrir, il faut venir voir la pièce (rires) !
VdO : Ce doit être plus confortable d’être programmés par un tel lieu dans les conditions que vous allez nous décrire, qu’une totale auto production comme ce fut le cas pour votre premier spectacle…
HL : C’est beaucoup plus confortable et incroyablement gratifiant. On ne peut nier qu’au-delà d’une simple programmation, les Béliers nous produisent sur le plan financier et mettent à notre disposition une équipe éminemment sympathique et professionnelle qui nous offre la possibilité de concentrer tous nos efforts sur l’artistique.
VdO : Avignon fut l’occasion d’un papier assez dithyrambique dans le Canard Enchaîné. L’article reflète-t-il les réactions des médias en général voire de certains politiques ?
NM : Non, en tout cas pas encore car c’était justement dans le cadre du festival où nous bénéficions essentiellement d’une couverture médiatique régionale. Mais il est clair que cela va nous aider pour notre rentrée parisienne puisque les journalistes se connaissent, se parlent… L’article du Canard va nécessairement attiser la curiosité.
VdO : Facile, la vie de couple à la scène ?
HL : Facile et difficile car Nathalie est une comédienne extraordinaire mais avec une exigence de chaque instant, par exemple dans le débrief auquel elle me et nous soumet après chaque représentation.
NL : Certes Hugues n’a peut-être pas autant s’expérience de la scène mais il a été très attentif à mes remarques d’autant que s’il pouvait naturellement incarner le personnage du grand patron dans Brigade financière. Il ne pouvait pas aller dans la caricature malgré certains points communs sur le plan physique.
HL : Au départ, d’un point de vue technique, je tentais de m’approcher de l’attitude de Poutine, qui s’avère être davantage un personnage de cinéma que de théâtre avec une voix qu’il projette assez peu. Mais très vite je m’en suis départi car là n’est pas l’important. La seule chose qui fait sens, c’est la tension que sa présence suscite. Il faut que l’on se dise « mais qui est Poutine, qui se cache derrière ce visage impassible ? ».
Le projet Poutine
Le pitch : Tout ce que voulez savoir sur Poutine sans avoir osé le demander… Passionnant et instructif. Au sommet de son pouvoir, Poutine sait qu’il pourrait tomber à tout moment : crise, conflit désastreux, qu’importe, les Russes ont le sang chaud. Pour parer à toute éventualité, il contraint une opposante, procureure générale, à dévoiler ce que serait un dossier à charge. Une procureure qu’il a connue par le passé. Mais les choses vont prendre un tour imprévu…
Qui est Poutine, cette énigme vivante, classé par les plus grands media, comme l’homme le plus puissant de la planète ? D’où vient cet homme, qui -à presque 47 ans, âge où une vie s’est en principe largement dessinée- n’était encore qu’un fonctionnaire subalterne du KGB, renommé FSB, mais en est soudain devenu le patron ? Comment est-il devenu, à peine un an plus tard, Premier Ministre, puis Président par intérim, pour être désormais Président (à vie ?), passant très rapidement de 10 à 60% dans les sondages qui l’opposaient à son concurrent ? Surtout, comment pense-t-il ? Quel est son but ? Et pourquoi les Russes, pourtant peu friands de sa politique, lui sont-ils à 80% favorables ? Tout cela constitue, à la lumière d’une relation imaginaire avec une procureur générale qu’il a connue par le passé, la matière initiale du Projet Poutine. Un théâtre du réel qui donne l’occasion de questionner, au travers d’une dictature, nos propres démocraties et la réalité des principes qu’elles revendiquent.
Texte : Hugues Leforestier
Mise en scène : Jacques Décombe
Avec : Hugues Leforestier et Nathalie Mann
Au Théâtre des béliers parisiens
Du 18 mars au 12 juin 2016 : du mercredi au samedi 19h15, le dimanche 17h30
Réservations