[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e 06 juin dernier, il y a tout juste 31 ans, sortait Pour Nos Vies Martiennes, quatrième disque du Rennais Etienne Daho et album un peu à part dans sa discographie.
Pour entamer cette chronique, je vous propose de vous rafraîchir la mémoire et de faire marcher la machine à souvenirs : Daho, jusqu’en 1985, ce n’était qu’un espoir de la variété Française ayant à son actif deux tubes (Week-End à Rome et dans une moindre mesure Le Grand Sommeil). Dès cette année fatidique, grâce à la parution de Tombé Pour La France, les événements vont s’accélérer et faire de lui une valeur sûre du rock hexagonal.
Dès lors, une Dahomania va tranquillement se mettre en place et s’installer définitivement en 1986 quand le disque Pop Satori verra le jour. Il faut dire à sa décharge qu’en publiant cet album, Daho va redéfinir les codes de la variété Française de qualité, bien mal en point en 1986 (hormis de magnifiques anomalies telles les Rita Mitsouko), en proposant un contenu hédoniste, à la fois léger et grave, aux influences rock étonnantes (reprendre Syd Barrett et le populariser au milieu des 80’s est une prise de risque très étonnante) et osant des partis pris pour le moins surprenants (clins d’œil appuyés à la culture cinématographique, mise en avant de musiciens en état d’oubli avancé, la reprise de Love At First Sight de The Gist en est un exemple parfait).
Si on met de côté les critiques n’appréciant guère l’utilisation de la langue de Molière dans le rock Français (et qui seront unanimes pour reconnaître la réussite éclatante de Paris Ailleurs), Pop Satori sera un triomphe porté par trois tubes en or massif (Tombé Pour La France donc mais aussi Duel Au Soleil et Epaule Tattoo) qui installeront Daho au firmament des charts et l’imposeront définitivement dans le paysage musical Français. Bref, en 1986, il est au sommet de sa popularité. Mais, car dans toute histoire il faut un mais, il y a toujours un revers à la médaille. La popularité peut être grisante mais entraîne avec elle certaines conséquences inattendues et fort peu agréables.
Pour Nos Vies Martiennes sera le reflet de ces désillusions.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L'[/mks_dropcap]histoire veut que Pour Nos Vies Martiennes devait à l’origine s’intituler Daho In Blue et conter l’errance d’un personnage finissant par se relever des difficultés se dressant tout au long de son chemin. Outre ce prétexte fictionnel, il se révélera être le premier album dans lequel Daho se livre à une introspection douloureuse. Le premier tome d’une longue série où il exposera ses failles, ses doutes, ses pulsions à la limite de la folie, la perte – de l’autre, de l’être aimé, de l’innocence, des illusions, de l’estime de soi -, le désarroi, le ressentiment. Tout l’album baigne ainsi dans une atmosphère crépusculaire, mélancolique où règne le désenchantement et ce malgré la diversité de l’ensemble où se côtoient gravité et légèreté, pop, rock, variété synthétique, prise de risque et accessibilité. Il marquera le premier accroc d’une amitié jusque là sans faille avec Arnold Turboust (qui composera les morceaux aux tonalités les plus synthétiques, froides et dures de cet album) au point que les deux ne retravailleront ensemble que huit ans plus tard pour la conception d’Eden.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]E[/mks_dropcap]t pourtant, malgré ce contexte particulier, il est possible d’extraire du positif autour de ce disque. D’abord, ce sera le premier album de Daho à sortir à l’international (huit pays). Ensuite, comme pour Pop Satori, Daho mettra à profit sa notoriété pour sortir certains musiciens de l’ombre (West & Byrd, Jérôme Pigeon, Armande Altaï, Théo Hakola) ou révéler le talent d’autres qui finiront par collaborer régulièrement avec lui (Soligny, qui passera de musicien additionnel à compositeur sur ce disque, Edith Fambuena, qui produira plusieurs autres de ses albums, David Munday qu’on retrouvera sur Eden et Corps Et Ârmes). Et enfin, et c’est là le principal serait-on tenté de dire, le succès sera de nouveau au rendez-vous, porté en cela par deux tubes imparables (Bleu Comme Toi et Des Heures Hindoues), un clip marquant (Des Heures Hindoues et son esthétique tirée de Francis Bacon) et un visuel remarquable (d’ailleurs, et pour l’anecdote, Pour Nos Vies Martiennes sera le seul album où Daho fera l’objet d’une illustration – de Guy Peellaert, célèbre pour ses couvertures des Stones et de Bowie – et non d’une photo).
Alors certes, d’un point de vue musical, Pour Nos Vies Martiennes n’est pas l’album le plus abouti de Daho (Winter Blue peine à convaincre, idem pour Le Plaisir De Perdre ou Where’s My Monkey et disons le franchement, la seconde face est plutôt en deçà de la première) mais il reste un disque très attachant et surprenant. Le seul dans lequel, malgré sa retenue et son élégance habituelles, il fera preuve d’une négativité quasi constante, où il faudra attendre la toute dernière note du disque pour qu’arrive enfin une infime lueur d’espoir. Néanmoins, trente et un an plus tard, malgré ses défauts flagrants, on reste toujours sous le charme du classique instantané qu’est Bleu Comme Toi, bouleversé par la beauté de Des Heures Hindoues, étonné par la folie malsaine de Musc Et Ambre ou la froideur ardente de Des Ir.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]B[/mks_dropcap]ref, si d’aucuns considèrent Pop Satori comme le premier classique de Daho (que je vois plus comme un aboutissement, l’apogée d’une décennie où régnait l’insouciance et la légèreté), je me plais à penser que Pour Nos Vies Martiennes est son premier véritable classique, sa première séance psychanalytique musicale, sorte de mètre-étalon mélancolique auprès duquel les prochains albums feront plus ou moins consciemment référence dans la gestion de leurs émotions.