[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]N[/mks_dropcap]ous, eux, qui n’avons à la bouche que ces mots de barrière, bordure, mur, différence, territoire…, avons, au contraire, le devoir de bousculer, d’aérer la pensée, d’écarquiller nos yeux, d’initier notre écoute.
Osez le Documentaire comme un voyage initiatique ! Vous serez surpris de ce que cela éveillera en vous et de la richesse que vous y trouverez.
Les Écrans Documentaires, ce fut une belle porte d’entrée à l’approfondissement de ma réflexion. Le cinéma documentaire, c’est celui qui nous aide à structurer notre esprit critique, à trouver du sens, à apercevoir du beau, à dévoiler notre sensibilité.
J’ai donc passé un week-end à me délecter de tout ce que je pouvais regarder et les sensations ont été multiples.
Et si je vous racontais….
La Mort du Dieu serpent de Damien Froidevaux
Nous allons suivre Damien Froidevaux et sa caméra qui va filmer 5 ans d’exil de la jeune Koumba (20 ans) expulsée de Paris vers le Sénégal suite à une bagarre. Elle est arrivée en France en bas âge et se retrouve, en quelques heures, dans un petit village, loin de sa famille. Complètement perdue, l’adolescente va se retrouver face à ces angoisses. Elle ne veut pas rester et veut retrouver ses repères, sa vie d’avant à Paris. Les premiers mois elle est très agitée, elle se révolte. Nous ressentons cette violence très forte en elle. 91 min en tête à tête avec Koumba ou presque nous interrogent sur le bienfait de son renvoi, qui la fragilise complètement. Et pourtant, elle va avoir un fils et va l’aimer. Ses troubles agressifs resurgissent parfois « tu penses qu’à ton film » criera t’elle. Le réalisateur va prendre son temps et ces 5 ans vont transformer Koumba. Il nous offre la chance de suivre son parcours, son courage. Elle se laisse filmer sans pudeur comme si cette caméra la rassurait comme un compagnon de route, un lien avec l’ailleurs. Son corps raconte beaucoup de ces conflits psychiques. La Mort du Dieu serpent, c’est également la vie au cœur d’un village sénégalais et ses traditions. Pagnes et boubous aux couleurs vives, les appels à la prière, le sacrifice des bêtes lors de fêtes religieuses, le rire des enfants sont tous ces moments que Damien Froidevaux partage avec nous.
Sorti en salle en France le mercredi 14 octobre 2015.
La Fièvre de Safia Benhaïm
Comme une histoire imaginaire et terrifiante, La Fièvre de Safia Benhaïm, c’est à nouveau l’histoire d’un exil. Une femme, exilée politique, est de retour dans son pays le Maroc. Elle erre à nouveau dans ses rues et ne reconnait plus rien après 30 ans d’exil. Février 2011, la nuit, le film commence par la fièvre d’une enfant qui perçoit la présence d’un fantôme, qui n’est autre que cette femme exilée. S’entremêlent des images du passé, sur fond d’une musique sombre, une déambulation dans les rues commerçantes aujourd’hui, un bâtiment laissé à l’abandon sur une plage. C’est une histoire intime qui pose la question de la mémoire perdue lors d’événements aussi violent qu’un exil. Mélange de fantasmes, de vagues souvenirs et de récits des parents crée la confusion. Ce récit très personnel ne peut pas passer sous silence l’histoire d’un Maroc bouleversé politiquement (de la période de l’Indépendance aux remous du printemps arabe). Safia Benhaïm avoue avoir été « habitée » par cette histoire. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle a choisi de nous montrer cette grande bâtisse, dont la construction n’est pas terminée et qui ressemble à un château hanté. La mer, à l’horizon, comme pour faire écho à l’histoire de ses parents, qui lors de leur exil regardaient au loin les côtes marocaines, pays où ils ne pourront retourner.
Border de Laura Waddington
Border, court métrage brut et féroce de 27 min, dans lequel Laura Waddington va suivre pendant plusieurs mois en 2002 les réfugiés afghans et irakiens à Sangatte dans les zones proches de la Croix Rouge. Le fait qu’elle soit avec eux, la nuit, à filmer de manière clandestine, nous engage au cœur de cette tension permanente que vivent quotidiennement les migrants. Caméra vidéo à la main, c’est dangereux et pourtant, elle les suit et se cache avec eux dans les champs. Sa voix nous raconte la peur, l’attente, les arrestations, la police et les chiens. Ils cherchent à rejoindre l’Angleterre et même si cela doit leur coûter une jambe, un bras… ils continueront d’essayer. Les images au grain particulier sont superbes. Les hommes ne sont que des silhouettes aux mouvements ralentis (puisque filmés de nuit, il faut compenser l’absence de lumière par une grande ouverture de l’obturateur). Le spectateur ressent cette traque animale. Il n’y a pas d’interviews, il n’est pas possible de distinguer les visages et pourtant, ce documentaire aux touches esthétiques nous touche profondément. Il est puissant et le message est pur : rendre ces hommes dignes. Certains sont arrivés en Angleterre et beaucoup diront « tu ne peux raconter Sangatte ». Ce film a déjà plus de 10 ans et paraît pourtant encore bien d’actualité.
Après vous avoir parlé d’exil et de migrants, les deux derniers films vont aborder de manière très différente les liens familiaux et vous pourrez constater à quel point ils peuvent également laisser la place à d’autres sujets complexes.
Pedro M d’Andreas Fontana
Une femme raconte les recherches sur son père qu’elle n’a pas connu. Il s’avère que son père est un caméraman de la télévision espagnole et qu’il a filmé le coup d’état le 23 février 1981 au Parlement pendant une demi-heure. Ces images sont devenues célèbres. Son père est resté inconnu et a ensuite disparu sans laisser de trace. Elle mélange des interviews d’anciens collègues, de l’actrice Marina Saura, avec qui il a entretenu une relation, des images d’archives, puis continue son investigation pour tenter de comprendre qui était son père. Ce coup d’état fait ressurgir le passé douloureux de l’Espagne sous Franco. Celui-ci a d’ailleurs été fomenté par Antonio Tejero, colonel de la Garde Civile espagnole, nostalgique de l’époque de Franco. Les images filmées par son père, c’est tout ce qu’elle a de lui. Il filmait des événements comme les corridas, les campagnes électorales. Derrière des images se cache une terrible histoire de famille. Comment ne pas ressentir la peine de cette femme qui cherche à comprendre qui était son père ?
Pauline s’arrache d’Emilie Brisavoine
Terminons cette sélection par un véritable coup de cœur, Pauline s’arrache programmé à l’ACID 2015. En clôture du festival, le 1er film d’Emilie Brisavoine nous entraîne dans une aventure familiale explosive, sa famille. Elle va filmer sa demi-sœur, Pauline 15 ans, qui est restée vivre chez leurs parents. Vous découvrirez des parents « pas comme les autres ». Pauline, en pleine adolescence, vit une période de crises, de doutes, des premiers amours, des tensions familiales. Film qui nous bouleverse, nous bouscule et qui peut faire écho à chacune de nos histoires personnelles. Ce foyer bouillonne et est en constante agitation. Ce film interroge sur notre place dans la famille et notre construction intérieure. Le montage est exceptionnel et il respire grâce aux images d’archives de l’enfance de Pauline. Osé, car au cœur de l’intime, la réalisatrice entraîne le spectateur dans un tourbillon de sentiments passant du rire à la tristesse et parfois la nostalgie. Ce couple loufoque et inhabituel fait le show en permanence. Certes, la cohabitation est souvent difficile mais Pauline va nous étonner et va réussir à faire évoluer les relations au sein de sa famille. Cette adolescente au tempérament extraverti nous agace, nous amuse et finit par nous attendrir. Elle nous donne une touchante et belle leçon.
Emilie Brisavoine a tourné pendant 4 ans ce film et au départ, elle avait choisi de ne le montrer qu’aux membres de sa famille. Finalement, et à sa grande surprise, son documentaire plait et a déjà beaucoup voyagé dans de nombreux festivals. Il sortira en salle le 23 décembre 2015.
Un merci tout spécial à Olia pour son accueil aux Écrans Documentaires.