[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]aru en 2017 aux éditions Verticales et récompensé la même année par le prix Wepler, Les fils conducteurs est le premier roman de Guillaume Poix, après deux pièces de théâtre publiées en 2014 et 2017. Il y décrit le destin de Thomas, photographe français en voyage au Ghana pour un reportage et ceux de Jacob et quelques autres, ghanéens, survivant tant bien que mal dans un pays en proie à la misère.
Pays peu connu, le Ghana a la particularité d’accueillir près du port d’ Accra la décharge d’Agblogbloshie, un dépotoir immense où viennent s’entasser les déchets électriques et électroniques en provenance des pays industrialisés. Que ce soit de manière légale ou en dépit des règles internationales, des tonnes de matériel sont débarquées ici chaque semaine, dans lesquelles une population (essentiellement constituée d’enfants et de jeunes hommes) va tenter de récupérer de quoi gagner quelques cédis (monnaie locale). C’est ainsi que Jacob, récemment arrivé en ville, va faire la connaissance d’Isaac et Moïse, avec lesquels il apprendra à se débrouiller dans cet univers de bruits et de fumée.
T’as tout le cimetière numérique de la planète ici, t’as tout l’obsolète qui se trouve un coin pour s’aplatir sous les coups de poing des mômes qui le fouillent. On te dit « C’est digital, c’est dématérialisé », on te dit « C’est sans fil, c’est encore plus plat », on te dit « C’est l’encombre en moins et la vitesse de la lumière dans ta face », on te dit « C’est la fibre, c’est la poussière en propre, en qui prend pas de place », on te dit des trucs pareils là où tu es toi; mais ce qu’on t’explique pas, c’est que chez nous, ça devient la bosse, ça devient Babel, le truc : ça grimpe jusqu’au ciel, les merdes cabossées dézinguées bousillées, elles construisent une seconde planète (…).
Guillaume Poix
Indéniablement original par le sujet qu’il aborde, Les fils conducteurs se démarque également par une écriture atypique, proche de l’exercice de style, entre lyrisme et réalisme cru, portée par de longues phrases descriptives entrecoupées parfois d’accélérations subites. Guillaume Poix aime l’écriture, la langue et en joue dès que possible, s’imposant ici ou là des contraintes narratives, en reprenant, par exemple, pour débuter un chapitre, le mot ou l’expression qui clôt le chapitre précédent. Ce goût des mots explose littéralement dans le langage que l’auteur prête à ces jeunes gens dont Agbogbloshie constitue l’univers, ce mélange débridé d’anglais et de français, d’expressions surannées et de vulgarité assumée.
C’est, paradoxalement, cette langue forte et travaillée qui pourra déranger, en particulier lorsque Guillaume Poix prête ses mots à Jacob, Isaac ou Moïse, donnant à leurs conversations des allures de joutes verbales surréalistes auxquelles on ne croira qu’à grand peine au vu du cadre dans lequel elles se déroulent. On pourra objecter que ces bavardages apportent au texte une légèreté certaine mais le décalage reste trop grand entre les mots et la réalité qu’ils tentent de désigner.
En faisant évoluer ses personnages chacun dans leur monde avant de leur permettre de se rencontrer, Guillaume Poix joue sur l’opposition évidente entre pays industrialisés, où la surconsommation est un mode de vie à part entière, et les pays pauvres qui récupèrent dans nos déchets de quoi survivre. Mais le jeune auteur ne cède pas à la tentation d’une dénonciation virulente et facile de nos modes de vie occidentaux, il évite la charge frontale que l’on était en droit de craindre ici, préférant s’attarder sur le sens de la survie et la solidarité dont savent faire preuve les Ghanéens.
La récupération de déchets ne suffisant pas toujours pour permettre à ces enfants de faire vivre leurs familles, certains sont amenés à vendre leurs corps, alimentant ainsi un réseau de prostitution dirigé par Daddy Jubilee, le maître des lieux. C’est dans ce cadre, et dans un grand malentendu, que Thomas, le photographe, va faire la connaissance de Jacob, les précipitant tous deux vers un drame que nul n’avait prévu.
Partant d’un lieu réel et pourtant difficilement imaginable, parabole extrêmement puissante de la folie de notre civilisation, Les fils conducteurs s’annonçait comme un grand récit sur notre monde et la façon dont il court à sa perte, sacrifiant sur l’autel de la consommation des populations déjà pénalisées par leur simple lieu de naissance. Le choix, déjà évoqué, d’une écriture parfois outrée dans ses expérimentations ôte malheureusement au texte une partie de sa force, au même titre que la fin du roman, que l’on trouvera quelque peu bâclée en plus de manquer de crédibilité. Les fils conducteurs n’en reste pas moins un roman profondément original, par son sujet autant que par le traitement qui en est fait. À ce titre, on ne s’étonnera pas qu’il laisse une trace durable dans l’imaginaire de celles et ceux qui l’auront lu.
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Les fils conducteurs de Guillaume Poix
Éditions Verticales, 24 août 2017
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Image bandeau : John Cameron / Unsplash