[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]près “Hummingbird” disque marqué par une période noire pour le groupe, Local Natives revient avec “Sunlit Youth”, troisième album à l’humeur bien plus légère. Bourré de pop songs toujours aussi bien ficelées il déroutera certains fans de la première heure s’ils n’ont pas la patience de lui accorder plusieurs écoutes. Mais croyez-nous, cette patience sera récompensée. Taylor Rice, Nik Ewing et Matt Frazier reviennent pour nous sur la création de ce disque qui marquera certainement la fin d’une période pour le groupe. Car “Sunlit Youth” nous laisse entrevoir des pistes nouvelles pour un groupe habitué à l’excellence qui semble loin d’avoir dit son dernier mot.
Comment se met-on au travail après autant de temps passé les uns sur les autres pendant trois ans de tournée ?
Taylor Rice : L’écriture de cet album a été synonyme de changement. Entre l’écriture et la promotion de nos deux premiers albums, nous n’avons pas levé le pied pendant 5-6 ans. A la fin de la tournée d’”Hummingbird” nous sommes rentrés lessivés à la maison, à Los Angeles. Nous y habitons depuis longtemps mais nous n’avions pas eu l’occasion de profiter de la ville en elle même depuis des lustres car nous étions en permanence sur la route. Nous y avons retrouvé nos racines, c’était vraiment agréable. Cette période a été une source d’inspiration. C’est une ville où tout semble possible. Elle foisonne de gens créatifs. Ce break était nécessaire pour ne pas devenir psychotique.
Vous avez enregistré l’album en Thaïlande, Malaisie, et au Nicaragua. Après ces années sur la route, cherchiez-vous à fuir un retour à la maison trop long ?
T.R. : Un peu effectivement. Après pourquoi ne pas avoir les deux, le retour à la maison et les voyages ? (rire). Nous voulions casser notre mode habituel de composition. S’éloigner de notre local de répétition nous a permis de réinventer nos règles. Avant nous étions tous enfermés dans la même pièce. Quand quelqu’un avait une idée, on en explorait toutes les possibilités des heures durant. Cette fois-ci on a composé des chansons chacun de notre côté avant de les présenter aux autres membres du groupe. A partir de là, tout était permis pour faire évoluer les morceaux. Certains ont même pris forme via des échanges de fichiers par email. Nous avons collaboré de façon beaucoup plus libre. Parfois en groupe, parfois en solo à la maison.
Nik Ewing : Par le passé nous tournions parfois en rond. Etant cinq dans le groupe, une idée pouvait prendre du temps à se développer s’il fallait attendre que tout le monde soit sur la même longueur d’ondes. On finissait souvent dans une impasse à jouer les mêmes accords indéfiniment. Pour “Sunlit Youth”, avoir des chansons déjà bien structurées comme base de départ à rendu les choses plus faciles.
Matt Frazier : On finissait toujours par s’engueuler. Cette fois nous avons connu un pic de créativité.
T.R. : Effectivement, nous avons composé cinquante chansons. Pour te donner une idée, nous en avions une quinzaine pour les deux albums précédents. S’éloigner de notre zone de confort à été déterminant pour ouvrir nos esprits. Chaque destination a développé notre productivité.
Comment se sont passées les séances d’enregistrement ? Certaines ont-elles été plus productives que d’autres ?
N.E. : Elles ont toutes apporté quelque chose de différent. Par exemple, le séjour au Nicaragua a eu lieu alors que l’album était quasi terminé. Cette session n’était pas vraiment indispensable, pourtant nous avons composé et enregistré une dizaine de titres en une semaine alors qu’il nous aurait fallu des années, voire des décennies pour arriver à ce résultat en temps normal ! (rire).
T.R. : Des années de lutte ! Nous voulions juste nous laisser guider par le plaisir. Tout le monde devait être excité par le morceau sur lequel on travaillait. C’était même la condition essentielle. Il y a pourtant une cohérence car tu retrouves des thèmes communs au sein de l’album.
Cela s’entend car “Sunlit Youth” sonne plus optimiste que votre précédent album “Hummingbird”. Pourriez-vous nous expliquer à quoi est lié ce changement d’humeur général ?
T.R. : Oui, mais cet optimisme est venu naturellement. Nous traversions une période plutôt sombre au moment d’”Hummingbird”. Des décès, des séparations, des crises existentielles, la pression liée au deuxième album. Il se passait trop d’événements en même temps. Les chansons le reflétaient car il fallait que tout ça sorte de nous d’une manière ou d’une autre. Nous voulions absolument que “Sunlit Youth” soit à l’opposé de tout ça.
Pour la première fois vous avez enregistré une chanson sans aucune guitare, “Villainy”. N’avez vous pas eu à un moment l’envie de prolonger cette expérience pour la totalité de l’album ?
N.E. : Il y en a plein d’autres que nous n’avons pas utilisées. “Villainy” est juste le reflet de l’excitation liée à une période heureuse dans la carrière du groupe. Nous étions tellement créatifs. Pour ce titre Ryan (Ryan Hahn, guitariste du groupe ndlr) est arrivé avec une ligne de synthé inspirée par Madlib, et tout est parti de là. Il n’a pas cherché à composer un titre qui sonnait comme du Local Natives, il a juste suivi son inspiration du moment, qui lorgnait vers de la musique électronique et du Hip Hop.
M.F. : Il l’avait juste composée pour lui à la base, pas pour le groupe. Il nous l’a fait écouter et on a tous adoré. Nous l’avons retravaillée ensemble et c’est devenu un titre de Local Natives.
Ce titre est-il issu d’une expérimentation, ou bien est-il le reflet d’artistes que vous écoutez en ce moment ?
N.E. : C’est plus un reflet de nos goûts du moment. Nous écoutons pas mal de musique électronique, surtout des artistes anglais. Ce que tu écoutes et apprécie ressort toujours d’une façon ou d’une autre dans ta musique. Ne pas utiliser de guitare nous a poussés à aller encore plus loin dans nos envies d’emprunter de nouvelles pistes.
Vous semblez avoir un don pour les refrains à reprendre en chœur, même lorsqu’un titre commence de façon intimiste. Est-ce pour vous une des conditions indispensables à l’écriture d’une bonne pop song ?
T.R. : Nous n’essayons pas vraiment d’écrire des pop songs d’un format classique. Ce n’est pas notre objectif. Si nos refrains sont accrocheurs c’est certainement parce que nous avons trois chanteurs et que nous adorons les harmonies. Il n’y a pas de concertation pour faire du chorus la clé de voûte d’une chanson. C’est le résultat d’un process naturel.
J’avais par exemple “Ellie Alice” en tête, dont on pourrait reprendre le refrain en cœur en concert alors que le titre commence comme une ballade à la guitare acoustique. Avez-vous la retranscription d’un titre pour les concerts en tête lorsque vous travaillez les arrangements en studio ?
T.R. : C’est une question intéressante. Oui et non. La plupart du temps, tu ne penses pas à ce genre de choses quand tu composes car écrire et enregistrer un disque est déjà un gros boulot en soi. Nous avons une habitude au sein du groupe : le test pour savoir si une chanson tient la route est de la jouer live, tous ensemble dans une pièce. Nous pouvons alors déterminer si l’énergie et le feeling correspondent à nos attentes en tant que groupe. Nous devons ressentir le plaisir de jouer. La décision finale relève donc du live, mais pas devant un public.
Cet album sonne comme celui qui pourrait ouvrir des pistes vers encore plus d’expérimentations pour le futur. Sur la quarantaine de morceaux que vous avez écartés, y en avait-il que vous avez jugés trop radicaux pour figurer sur “Sunlit Youth” ?
M.F. : Oui plusieurs. La liberté d’écriture que nous nous sommes imposée nous a permis d’emprunter des pistes que nous ne sommes pas encore prêts à exploiter sur disque. Nous sommes parfois allés un peu trop loin et l’album aurait manqué de cohérence si nous avions dû inclure certains enregistrements.
T.R. : Nous reviendrons à ces chansons dans quelques temps. Tu as raison, ce disque représente pour moi la clôture d’un cycle. Nous allons certainement partir dans d’autres directions pour le prochain. Tu sens les portes s’ouvrir sur “Sunlit Youth”.
“Dark Days” est, musicalement, un des titre les plus sombre de l’album, c’est également un duo, le premier auquel participe un membre extérieur au groupe. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce titre ?
T.R. : C’est un titre un peu à part, avec juste trois notes répétées tout le long du titre et une batterie minimaliste. Nous l’avons incluse sur l’album car il résumait parfaitement le nouvel état d’esprit du groupe. C’est une chanson d’amour un peu nostalgique qui parle d’un ado qui sort de chez lui en cachette pour rejoindre sa petite amie. C’est un titre composé par Ryan. Rapidement nous avons eu l’idée d’un duo. Je ne peux malheureusement pas te dire avec qui car nous voulons attendre la sortie de l’album pour le dévoiler. Nous voulons que les gens se posent la question avant de dévoiler le nom. Tu as peut être ton idée.
Non, même si j’ai l’impression de reconnaître la voix. Ce qui est un peu frustrant.
T.R. : C’est exactement la réaction que nous recherchons. Tout ce que je peux te dire, c’est que nous étions super excités d’enregistrer avec cette personne.
N.E. : Ce titre est l’anti thèse des gros refrains dont tu parlais tout à l’heure. Nous avions un très bon feeling sur le titre tel qu’il était, vraiment minimal. Nous n’avons pas voulu rajouter de cordes ou des accords compliqués.
En parlant de minimalisme, “Jellyfish” s’inscrit dans cette lignée mais cette fois le titre lorgne légèrement du côté d’un son hip hop. Est-ce un style de musique que vous écoutez ?
N.E. : Pour ce titre, c’est principalement Kanye West car nous sommes tous obsédés par son travail. Je pense qu’on peut le deviner en écoutant le beat.
T.R. : Ryan est obsédé par Madvillain, Kendrick Lamar et Vince Staples. “Jellyfish” a une histoire particulière. Nous avons quitté Los Angeles pendant une semaine pour nous consacrer aux paroles car nous voulions y prêter une attention particulière. Nous voulions que ce disque ait une âme. Il nous était arrivé trop souvent de nous en occuper à la dernière minute. Cette fois-ci, les paroles devaient se fondre à la musique. Bref, nous étions à Hawaï avec Ryan et il m’a fait écouter le beat qu’il avait en tête pour “Jellyfish”. Et en moins d’une heure j’ai trouvé une mélodie et nous avons rédigé ensemble les paroles de la chanson. Le squelette de “Jellyfish” était terminé. Nous avons conservé le chant de cette maquette qui a été enregistré sur un téléphone tout pourri. Si tu prêtes bien attention, tu entends même les bruits de fond. Il y a par exemple quelqu’un qui touille quelque chose dans un bol avec une cuillère. Il y a également Ryan qui me demande de me rapprocher du téléphone pour qu’on entende mieux ma voix (rire).
On sent que vous avez beaucoup utilisé le sampler. Etait-ce un moyen de casser la routine ?
N.E. : Oui tout à fait. Jusqu’ici nous n’en avions utilisé que sur “Three Months” sur “Hummingbird”. C’est quelque chose de nouveau pour nous. C’est une des idées que nous avons trouvée pour nous sortir de notre zone de confort.
Vous êtes vous lâchés en enregistrant des bruits dans la rue, ou des sons improbables ?
(Tous excités comme des gamins) : Carrément !
M.F. : Oui nous nous sommes surtout lâchés sur la fin de “Jellyfish”. Nous sommes devenus incontrôlables (rire). Il y a par exemple le sample d’un gong enregistré à Hawaï, un perroquet, un fond sonore de fête à laquelle nous avons assisté au Luxembourg. Partout où nous allions, nous trouvions quelque chose à sampler. Nous avons une bonne base de “Field Recordings”. Nous nous sommes amusés comme des gamins, ça nous a fait un bien fou.
Crédit photo : Michela Cuccagna
Merci à Mathilde Boulanger