[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]a disparition de quelqu’un n’est pas la plus mauvaise façon de le découvrir de même que la lumière n’est pas forcément la meilleure manière de voir les choses. L’ombre nous laisse deviner souvent bien plus que la silhouette de ceux que l’on aime.
Dans L’ombre s’allonge, Jean-Paul Goux avec une écriture délicate et précise, vient confirmer que dans le silence, là où le regard n’est pas en principe porté, dans ce que l’on peut savoir de l’autre quand on ne voit que son ombre, son reflet, son souvenir, se découvrent parfois davantage que de simples bouts de vie. Cette obscurité, que l’on parle de choses cachées ou simplement de l’organisation répétitive de l’infra-ordinaire, cet invisible quotidien, disent beaucoup sur ce que l’on est à celui qui prend le temps d’observer. Plus parfois peut-être que ce que l’on étale (volontiers ?), un peu trop en plein jour.
C’est un homme dont le nom importe peu ; il s’appelle Arnaud et beaucoup de choses de sa vie sont laissées au silence. On devine Arnaud dans ce qui n’est pas dit. Ce qu’il peut être ou ce qu’il pouvait être, car s’il n’est pas mort, Arnaud est dans un piteux état, dans un lit « à hautes pattes » après un accident cérébral. C’est par les détails, épars, que l’on reconstruit doucement son histoire, à partir de ce que ses amis croyaient savoir de lui et ce qu’ils réajustent peu à peu en (re)découvrant sa vie. Mais qu’on se rassure, le propos n’est pas à la révélation stupéfiante, à la découverte indécente mais plutôt à la construction fragile.
C’est par le côté aussi que l’on découvre Arnaud, par ce que nous en dit la narratrice, une amie. Une amie chère, celle avec laquelle Arnaud partageait non pas un quotidien mais plutôt des rituels, des moments amicaux (qui donnent l’impression – l’illusion – de se connaître bien), avant son déménagement à lui, son « exil » en dehors de Paris. L’ombre s’allonge ici peut-être aussi ; comme cette vie en province qui s’étire un peu mollement, ce retrait choisi par les circonstances économiques qui met de l’incompréhension bienveillante entre les amis.
A l’occasion des visites dans l’appartement d’Arnaud, sans Arnaud, Jean-Paul Goux dans le regard de l’autre sur les lieux de l’autre, dit cette intimité de nous-même, dans les lieux que nous habitons. Cette intimité qui est partout mais que nous cachons, même à notre corps défendant, lorsque nos amis viennent nous voir. Le rythme de sa vie, cette chose trop personnelle pour l’exhiber. « Car habiter quelque part, ce n’est pas seulement occuper un logis, habiter c’est être mis en sûreté, séjourner dans ce qui vous ménage, vous permet de prendre la mesure de qui vous êtes, vient le revêtir d’une forme, c’est ménager ce qui dure, ce qui s’élargit en vous dans la durée par la perspective qu’ouvre devant soi la stabilité du temps, c’est ainsi vaincre le temps destructeur, s’installer dans la permanence d’une forme ».
L’ombre s’allonge de Jean-Paul Goux, paru aux éditions Actes Sud