Tous en vacances, quel bonheur.
Plus de Thomas W à notre étage, c’est un soulagement. Son rôle de canevas pour mes délires oniriques de célibataire a fait long feu – plus qu’il ne le méritait.
Aurélie a changé de bureau. C’est un hasard mais ça la rapproche du bureau de la rédaction en chef de Urbaine. Elle y a depuis deux numéros quelques lignes à la rubrique Sortir. La seule de la section féminins du groupe à avoir de l’avancement – c’est assez dire son acharnement. Carole fait mine que ça ne la concerne pas. Dans deux minutes, elle aura retourné sa veste et surenchéri une rubrique cousue main, pour Aurélie. Pas par nostalgie de quoi que ce soit. Mais se l’avoir dans la poche, c’est se garantir les faveurs de Philippe G ; et par les temps qui courent, pas question de se mettre une huile à dos – elle n’est pas assez conne pour ne pas comprendre ça.
Deux mails de Laure, enfin. Le premier: « At first I was afraid I was petrified Kept thinking I could never live without him by my side But then I spent so many nights thinking how he did me wrong And I grew strong And I learned how to get along »
Le second : « He drives me crazy Like no one else He drives me crazy And I can’t help myself I won’t make it On my own No one likes To be alone »
Décodage : elle n’est pas partie que pour sa sœur.
Quatre coups de fil rien que ce week-end. Je me demandais jusque quand Maman tiendrait avant de dégainer son portable pour répandre ses humeurs. Ça ne loupe jamais quand Pierre n’est pas à ses côtés pour la canaliser. Le prétexte : elle ne sait plus comment occuper Léon et René, ils n’arrêtent pas de se disputer (normal, vu le contexte familial) ; et d’ailleurs, c’était une mauvaise idée, cette garde impromptue ; ce n’est plus pour elle de s’occuper de deux enfants sur une aussi longue période ; elle a eu deux filles, et je peux t’assurer ma chérie, que vous étiez un vrai bonheur ta sœur et toi comparés à ces deux terreurs ; tu ne sais pas ce que m’a répondu Léon quand je lui demandé de mettre la table…
S’en suivent trois minutes sur les conneries de l’un, le vocabulaire de l’autre. Pour finalement aboutir à : Julien n’a jamais fait ce qu’il fallait et on n’a pas fini de le payer (comme si elle allait payer quoi que ce soit).
Et : je respecte le choix de ta sœur, mais tu avoueras, quand même…
Alors que c’est elle qui l’a poussée, qui lui a parlé la première de Milo Papel, de son soi-disant don pour découvrir des talents.
Thanks god, on respire. La nuit a été douce, et le sommeil profond.
Dimanche
Étonnante soirée, lycéenne. Une sorte de romantisme sans arrière-pensée, pas vraiment des sentiments, plutôt le bien-être d’être ensemble.
De nous lever de table avec le sourire de ceux qui vont se retrouver, enfin.
De rire, essoufflés, après avoir manqué un bus.
De marcher au hasard des rues en se racontant nos vies.
Tout son être disait : on se plaît tous les deux, pas vrai ? Et moi : Au bout du monde.
Conviée par Queen Lol soi-même à une soirée plastique (le mignon trois-pièces en vinyle noir lacé de partout, que je n’ai porté qu’une fois, sera parfait). Irai-je accompagnée ?
Hasard, Aurélie et moi nous sommes retrouvées devant un café, pas plus tard qu’hier. Elle voit un psy spécialisé (on voudrait bien savoir en quoi), mandaté par Dieu-le-Père-Philippe G. Objectif : retrouver une vie saine, loin de ses « perversions ». « Bon, il exagère, feint-elle d’admettre. Pas qu’il n’aime pas ça. » Et elle ajoute avec un air qui se veut vicieux : « Et puis, j’ai pas dit mon dernier mot. » Mais déjà, on la voit préoccupée par ses entrées dans les répertoires du fashion Paris, déballant en soufflant les prochains défilés Homme où elle a promis de se rendre « tu comprends », et aussi « des vernissages de je ne sais quel pique-assiette période caca d’oie ». On la voudrait amoureuse, au moins, rêvant à un futur mariage, une robe – midinette. Mais non, elle a « ses entrées » et entend les faire fructifier. « Ne plus jamais être rien », m’avait-elle dit alors qu’on devenait copines et que nous parlions de nos envies.
De sorte qu’elle ne baise plus. (Prétend-elle.)
Record battu. La température n’est pas descendue sous 25,5 °C dans la nuit de dimanche à lundi. On n’avait jamais vu ça, disent ceux qui savent et notamment les statisticiens dont les chiffres démarrent, en la matière, en 1873.
Mardi
Nico estime que j’abuse. Selon lui, s’il ne m’appelle pas, je ne l’appelle pas. Affirmation exacte et réversible à l’infinie.
Matthias est méconnaissable, des cernes qui lui font un masque, un teint gris malgré le cataclysme lumineux de ces derniers jours. Il ne voit du jour que les lueurs du petit matin (il n’a pas complètement tort), se refuse consciemment à regarder sa réalité sous une lumière vive (pareil).
Que celui qui n’a pas connu ça lui jette la première pierre.
Mercredi
Laure, ma chérie, ma sublime amie, enfin.
Cette séparation de quoi ? quelques semaines, plus longue que celle qui nous isola durant des années. Laure, sage et radieuse, débarquant de derrière les vitres opaques de Roissy encore gorgée d’amour. De retour d’Australie, où elle a laissé Doug « Doudou », un footballeur professionnel recyclé, dont l’entreprise d’import de produits bio bat son plein. Ils se sont connus chez un commerçant du XVe, elle a abandonné ses mômes, traversé la planète pour le rejoindre. Ils ont bu du blanc californien à cinq heures du matin en regardant le soleil se lever depuis la falaise où il a sa propriété, ont roulé et baisé trois jours et trois nuits dans le désert, dans des chambres de motel.
Laure a ce même regard vide, planant, que nous avions quand nous sortions au petit matin de l’une de ces fameuses nuits hot qui peuplaient notre quotidien de teenagers. Trois jours qu’elle est là, et même avec ses enfants, elle est toujours flottante, loin de tout.
Que celle qui n’a jamais aimé lui tresse la première couronne d’épines.
Mado invisible. Absorbée par le théâtre qu’elle découvre pour de bon – on ne peut pas lui retirer ça, au bras de Milo Papel. La Cartoucherie, le Rond-Point, le Théâtre du Soleil, Ribes. La nique au sacro-saint Hossein maternel.
Ce qui lui permet d’échapper à la tante et à ses bondieuseries larmoyantes.
Et l’extirpe de cette période de tourmente qu’est toujours une séparation (cf. les épisodes précédents).
Mado, Laure.
Louna ?
Dans une voiture, je roule tranquillement sur une ligne droite, avec la particularité suivante : je suis dans un dessin, je suis moi-même un dessin (graphie d’enfant d’environ huit ans, immeubles rectangles et route triangle effilé). La route descend puis remonte, et au bout de la feuille, hors le cadre, se trouve la ville. J’envisage, quand même, qu’il puisse ne rien y avoir de l’autre côté de la feuille.
Vendredi
Rob mixe à Marseille, le Poste à Galène. Et tarde à rappeler. J’ai besoin de décompresser. Quand je sonne chez Chic, je ne sais pas qui je vais trouver, peut-être même qu’il n’y sera pas, ou qu’une nénette qui pourrait être sa mère sera à moitié à poil sur son canapé tandis qu’un de ses cousins (27-45 ans, dreadlocks, chapeau rasta, baggy, mangeant du Nutella à même le pot) roulera un X feuilles. Ou tapera un bang. A moins qu’il soit en train de lire des lignes inintelligibles sur son écran avec un informaticien aux yeux de lapin, en dessinant des crobars sur des bouts de feuilles pour se faire comprendre. Ou alors, comme ce soir, il est seul, il vient de se réveiller. Il a l’haleine lourde de celui qui s’est endormi en s’enfumant et sa chemise ne tient que par un bouton.
Je dis : Non, je ne reste pas, juste une dépanne.
Il est craquant avec son air de déluré britannique – bien plus que Rob, pourtant né à Londres. Il ne fait rien pour me retenir, dommage.
En rentrant, un truc que je n’avais pas fait depuis longtemps – opération « Fais-toi plaisir » : le DVD où la rousse à la peau de lait se fait prendre en flag de masturbation par ses deux potes. Ça se passe dans un camping.
Mais pas à Berlin.
Une vague d’une trentaine de mètres s’est figée au-dessus d’une ville du Far West où je me trouve. Quelques gouttes d’acide tombent de la vague, provoquant une panique monstre.
Avec Mado, les ruses habituellement réservées à Maman : pour la voir quand même un peu mais pas avoir la tête fracassée de ses histoires, des kilomètres de shopping – avec Mam, c’est plutôt musées mais ça revient au même. Et soudain, dans la minuscule salle fumeur d’un café : « Continue sans moi, Louna. Il faut que je pense à Milo. »
Ah d’accord.
Rob, au téléphone, enfin. Trop chou, plein de mots doux et crus. Il rappelle vite, il revient vite, promis.
Je plane.
Je l’attends, je n’en peux plus de l’attendre. Je pense : on va baiser, à mort chez Queen Lol, et après on prendra le temps. Il me reste des récup, on pourrait. Etc.
Je pense : Il ne faut pas que je m’emballe.
Et : Si je quitte Method, on peut envisager plein de choses.
Et : Qu’est-ce que je veux vraiment ?
J’en fume un cinquième, il faut que je dorme.
Lundi J-4
Engueulade entre Aurélie et Carole. Je n’en ai pas compris toute la teneur, la porte ayant claqué avant même le premier éclat de voix.
Ce qu’on dit : Carole subirait des pressions pour partir, comme d’autres redchef.
Et : La direction entendrait fusionner des titres.
J’ai parfois le sentiment d’assister à la lente agonie du géant Method avec autant de compassion que pour une rediffusion d’une série nocturne d’M6.
Mon corps attend presque plus que moi.
Mercredi J-2
Religieusement.
Chez Chic, lui déjà chaud, nos corps se frôlent, je respire son odeur, une légère teinte de transpiration estivale, une autre de bière et de tabac blond. Son sexe, incidemment, contre ma jambe. Sa main attrapant ma nuque, et moi de le repousser. Religieusement. Avec tout ce que cela implique de culpabilité et de frustration.
J’attends Rob. J’attends de me faire baiser par Rob.
Jeudi J-1 YES
Plan d’action. Un : garde-robe dessus, dessous pour trois ou quatre jours. Deux : cacher l’invit de Queen Lol, qui traîne dans l’entrée. Trois : esthéticienne, 13h30.
Ce sera une première ensemble. J’ai très envie de cette soirée de samedi avec lui.
Et : de rentrer au petit matin, fourbue, sa main dans la mienne, des souvenirs de sexe plein la tête. Si je songe qu’il m’a matée depuis l’autre côté du miroir de la backroom où je baisais avec Goethe, je fonds.
Malaise avec Chic, logique. Il me dit bonjour comme à n’importe quel voisin. Il dérive, suit déjà un courant qui l’éloigne. Et j’ai beau vouloir qu’on reste potes et tous ces trucs, je n’essaye rien, je ne lui dis pas : eh Chic, tu crois pas que ça déconne ?
Il me manque.
Quelques minutes, pendant que Rob prend une douche. Nuit de vendredi à samedi, 3h37. On a commencé un peu avant 1h00. Des pauses raisin, Southern (d’excellents petits shots), clope, joint.
Il prend une douche, histoire de se requinquer, il ne veut pas s’arrêter là.
Ça me va.
14h30
En diagonale, sur un côté, le visage lisse, il est dans mon lit. Il dort.
Il est très beau, il m’a merveilleusement fait jouir. Je suis en train de tomber amoureuse.
J’ai simplement parlé d’une soirée, je veux garder la surprise intacte.
Je vis un conte de fées.
PS : filtre obligatoire au téléphone. Sont interdits du week-end : ma mère, Mado (j’écoute quand même leurs messages et je rappelle si vraiment), Nico, Carole (et toute autre personne de Method, included Aurélie).
Je crois qu’il se réveille.
21h50
Rob se rase, j’ai enfilé mon ensemble lacets. De m’être éclatée avec lui, ça m’a donné envie d’aller partager ça sur la place publique. Et : de le regarder baiser d’autres filles. Et : de me donner à d’autres types pour le retrouver. Une seule trouille : comment je réagis si je vois qu’il connaît la moitié des participantes ?
Dimanche, 21h50
Vingt-quatre heures pile depuis la dernière fois que j’ai écrit.
Que ne peut-il se passer en vingt-quatre heures ? Hier, j’étais humide d’excitation ; je suis aujourd’hui réfugiée dans ma chambre, j’ai allumé une bougie et quelques gouttes d’huile de citron se sont répandues dans les airs.
Il fait chaud. Impossible de laisser la fenêtre fermée.
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« Louna : sexe, vices et versa » est un texte de l’écrivaine et journaliste Agnès Peureu écrit en 2005.
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