[mks_pullquote align= »left » width= »680″ size= »18″ bg_color= »#e3f2e7″ txt_color= »#000000″]Ma rivière naît au cœur de sombres forêts d’épicéas, coule sous leurs branches griffues au fond d’un lit flanqué de deux versants abrupts, dans un entrelacs d’énormes rochers et d’éboulis. Ma rivière se faufile sur ces pierres sombres qui, partout, tapissent sa couche. Sa vallée, dont la largeur, en certains endroits, ne dépasse pas quelques mètres, a des versants si rapprochés qu’ils laissent à peine au soleil le temps de l’éclairer. Elle ne voit le ciel que lorsqu’elle parcourt de rares champs parsemés de roches granitiques et pareils à des villes en ruine balayées par de terribles guerres antiques. Avant que ses eaux ne soient rendues toxiques par les déversements de teinture d’usines textiles aujourd’hui disparues, ses eaux pouvaient engendrer de majestueux mollusques centenaires dont on extrayait des perles très prisées sur ordonnance du souverain. Les villes oubliées qui bordent son cours glacial ne connaissent plus que la rumeur fébrile de ces fastes passés. La fin de leur fièvre industrieuse a laissé ces bourgades vides et mornes.
Ma rivière ne connait plus la richesse. Les seules couleurs qui se reflètent dans ses eaux d’une tristesse de linceul ne surgissent qu’au printemps quand d’immenses fleurs rouges, d’immenses fleurs pourprées, des pivoines couleur de sang, telles des plèvres saignantes, saluent les passants et demandent ironiquement le chemin. Ce ne sont pas des fleurs bêtes de jardin, ces parasites gras, trop nourris et paresseux, mais ce sont de méchantes fleurs de Paris qui n’apportent pas la joie, car ces rives ne savent plus apporter de gaité à leurs visiteurs.
Son débit est abondant, même s’il faiblit en été comme celui de tous les fleuves de sa région, ses eaux grasses et froides ne viennent jamais à manquer sous les regards gris des habitants des bourgs qui rêvent d’or, de soleil et d’oubli. Ne jugez pas ma rivière, elle n’est que ce que vous avez fait d’elle. Ses perles épuisées, ses eaux souillées annoncent la mort que vous y avez déversée.
L’homme croit toujours que l’eau absorbera ses crimes, nettoiera ses fautes et le purifiera de tout. Ce fut sans doute vrai, mais qui peut croire encore que la nature nous consolera. Ma rivière a concentré tant de haines, d’angoisse et de fantasmes morbides que ses eaux ont le nom du péché. Sa vallée figure parmi les plus belles de France, pourtant personne ne défend son nom avec fierté. Beauté de la nature contre pourriture du meurtre, on a tué les eaux de ma rivière en s’en servant comme d’une arme, on a tué ma Vologne.
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Dominique Maisons est un auteur protéiforme, touche à tout, mais surtout au noir. Il travaille actuellement à l’écriture de son cinquième roman.
Les quatre premiers sont On se souvient du nom des assassins (Octobre 2016 Editions de la Martinière, Mars 2018 en Points), Le Festin des fauves (Novembre 2015 Editions de la Martinière, Octobre 2016 en Points), Rédemption (Octobre 2012 Editions « Les Nouveaux Auteurs »), Les violeurs d’âmes (version poche du Psychopompe Octobre 2012 Editions Pocket) et Biblio Le Psychopompe (Mars 2011 Editions « Les Nouveaux Auteurs »)
Merci à lui de nous avoir offert ce texte.
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