Maggie O’Farrell nous offre, avec ce magnifique Portrait de mariage, une mise en lumière époustouflante sur la vie de Lucrèce de Médicis, sacrifiée pour l’honneur.
« Son époux est assis, non à sa place habituelle, à l’extrémité opposée, mais à côté d’elle, assez près pour qu’elle puisse poser sa tête sur son épaule si l’envie lui en prenait; il déplie sa serviette, rajuste la position de son couteau, rapproche d’eux la chandelle quand vient à Lucrèce, avec une évidence soudaine -comme si un fragment de verre coloré, devant ses yeux, avait été placé ou peut-être retiré-, la certitude que son époux projette de la tuer. »
─ Maggie O’Farrell, Le Portrait de Mariage
Le Portrait de mariage est un livre exceptionnel, qui retrace la -trop courte-vie de Lucrèce de Médicis, mariée très jeune à un homme certes charismatique, mais cruel, violent, et qui ne l’a jamais aimée. Mariée afin de donner une descendance, vite, tout de suite, ce qui n’arrivera pas et conduira à sa perte. Ce magnifique roman expose sans fards la vie des jeunes filles nobles du XVIème siècle, une vie toute tracée depuis leur naissance: être mariée afin de consolider ou nouer des alliances puissantes, puis donner des héritiers qui à leur tour reproduiront le schéma familial, tout en vivant dans des vases clos dorés plus proches de prisons que de vrais palais princiers. Lucrèce n’est pas de ce monde, elle est idéaliste, instruite, intelligente, artiste, douée et féministe à la fois, elle n’avait donc aucune chance de vieillir dans cette société qui n’acceptait pas une quelconque émancipation féminine.
Lucrèce est mariée, par défaut, au fiancé de sa sœur aînée, morte subitement d’une fièvre. Son époux, Alfonso, Duc de Ferrare, est non seulement plus âgé qu’elle, mais surtout mystérieux: sa mère est citée sans apparaître, son frère d’armes et homme de main est capable d’une violence inouïe, mais surtout, qui est ce Duc? Quels desseins cache-t-il pour sa cour, ses proches et pour Lucrèce? Il décide de sa vie ou de sa mort. Il décide du portrait de mariage de Lucrèce, qui doit être peint par le plus grand artiste de sa cour. Ce portrait sera le fil d’Ariane de Lucrèce tout au long du roman, ce lien ténu entre sa vie d’épouse et sa vie de jeune adolescente, troublée malgré elle par un commis du peintre qui sera un point de lumière dans un tunnel sans fin.
Lucrèce, ma petite Lucrèce, j’aurais tellement aimé être à tes côtés pour te soutenir durant les épreuves que tu as vécues. J’aurais voulu te dire que cette vie, que tu n’avais pas choisie, aurait pu t’être évitée si par bonheur tu avais vécu à mes côtés, là, maintenant, en 2024. Que tu aurais été une femme formidable, forte, un exemple pour notre sororité actuelle. Las! Il a fallu que tu naisses à la mauvaise époque, au mauvais moment, presque au mauvais endroit.
Ce roman époustouflant ne fait que souligner le talent d’écriture de Maggie O’Farrell, qui va pousser le détail à nous faire toucher, à travers une page, le vol d’une hirondelle qui va « frôler l’eau des douves, flèche bleu-noir, puis disparaître sous une arche » lors de l’arrivée de Lucrèce à Ferrare et qui ne sera, finalement, que le double idéalisé de Lucrèce: réussira-t-elle, elle aussi, à prendre son envol afin de fuir une mort certaine? L’Histoire seule (ou bien juste l’histoire?) peut nous en apporter une réponse.