[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]M[/mks_dropcap]ake Way For Love, deuxième et excellent album de Marlon Williams est un disque de rupture. À la fois sentimentale et musicale. La fin de sa relation avec Aldous Harding a déclenché en lui un flot d’écriture cathartique. Apaisée mais pas déprimante, sa musique a bénéficié du talent du producteur Noah Georgeson qu’il avait repéré pour son travail avec Cate Le Bon. Nous l’avons rencontré dans un salon parisien, à la sortie d’un vol de plus de trente heures. Épuisé, mais détendu et jovial, Marlon Williams dévoile toute sa complexité dans cet entretien. Il nous parle de sa difficulté à composer, de sa nécessité d’enregistrer un duo avec son ex-compagne et de son prochain film, où il partage l’affiche avec Lady Gaga.
Peu de gens le savent en France mais tu es aussi acteur. Tu as tourné dans The Rehearsal un téléfilm néo-zélandais, mais aussi joué du Shakespeare. As-tu envisagé à un moment de devenir un acteur ?
Je n’ai jamais cherché à en faire une carrière. Je laisse les choses se faire. Si des propositions intéressantes arrivent, pourquoi pas. J’ai du mal à dire non, il y a un risque potentiel que je finisse par jouer dans n’importe quoi (rire). Je préfère m’orienter vers des rôles sérieux. Mon prochain film A Star Is Born sort en octobre 2018. C’est un remake du classique avec Judy Garland. Bradley Cooper l’a réalisé et Lady Gaga tient le rôle principal. Pour l’instant je n’ai rien d’autre de planifié.
Les artistes de Christchurch font beaucoup parler d’eux ces derniers temps. Les noms qui reviennent le plus souvent sont le tien, Aldous Harding et Nadia Reid. Aurais-tu des noms d’artistes issus de cette scène moins médiatisés à nous conseiller ?
Je trouve que l’on ne parle pas suffisamment de Delaney Davidson en France. J’ai sorti quelques disques avec lui. Je l’embarque avec moi pour ma prochaine date à Paris. Il assurera ma première partie. Il y a aussi beaucoup de musique noise avant-gardiste pour les plus aventureux. C’est une ville où la scène musicale est dynamique.
Avec Make Way For Love, tu t’éloignes de l’étiquette de chanteur folk et country qui te colle à la peau. Est-ce quelque chose qui te satisfait ?
Je n’ai jamais vraiment fait partie de cette scène. Je ne me retrouve pas non plus dans cette description de ma musique. Quand on écoute mon premier album, il est plutôt varié. Je ne suis pas un puriste. C’est juste un argument de vente qui arrange tout le monde. On met différents artistes dans le même panier histoire de vendre le plus de disques possibles.
T’éloignes-tu encore plus de la country parce que tu n’as pas envie d’être enfermé dans un style réducteur, ou bien parce que dans ta vie de tous les jours tu es passé à autre chose musicalement ?
Les influences qui ressortent sur ce disque sont en lien direct avec la musique que j’écoute depuis de nombreuses années. On l’entend seulement aujourd’hui car je me suis enfin autorisé plus de liberté dans l’écriture. J’ai arrêté d’utiliser les trois mêmes cordes indéfiniment. Jusqu’à récemment, j’avais peur de jouer autrement.
Tes concerts sont souvent intenses. On te sent vraiment dans ton élément. Est-ce le cas également en studio ?
Je suis plus à l’aise sur scène. Il y a un côté imprévisible qui me séduit. On peut sortir des automatismes. En studio, tu dois partir de rien et tout construire. Tu dois créer un ensemble qui, une fois finalisé, restera pour toujours.
Est-ce la raison pour laquelle tu as enregistré avec ton backing band, The Yarra Benders ?
Oui, rien ne remplacera la complicité qui s’est créée entre nous sur scène. J’ai été clair avec eux dès le départ sur la raison de leur présence. Je voulais garder le contrôle sur ce qui se passait, sur les idées. J’avais besoin d’eux pour apporter de la cohésion à l’album. Mais aussi parce que ce sont d’excellents musiciens.
Tu m’avais confié avoir besoin de gens pour te bousculer un peu lors de l’enregistrement de ton album précédent. Était-ce la même chose pour Make Way For Love ?
Cette fois, j’ai travaillé en amont dans un studio à Lyttleton. C’était un mois avant le début de l’enregistrement. Du coup j’avais une base de quinze chansons. Je suis tellement stressé en studio que ce n’était pas suffisant. Pour le prochain album, il faudra que je me prépare encore plus. Investir beaucoup de mon argent personnel dans Make Way For Love n’a pas aidé. J’avais peur de me planter complètement et de finir sur la paille. L’avenir nous dira si j’ai eu tort ou pas.
Est-ce la raison pour laquelle tu as voulu tout laisser tomber une fois arrivé à New York pour enregistrer l’album ?
En partie. Les rôles n’étaient pas bien définis entre Noah Georgeson, le producteur, et moi même. Les premiers instants ont été chaotiques. Nous avions dix jours pour l’enregistrement. Après quelques explications, j’ai réussi à trouver une bonne dynamique.
Pourquoi être parti enregistrer l’album aux États-Unis, avais-tu besoin de changer d’air ?
Nous avons collaboré avec Noah car je voulais travailler avec quelqu’un d’extérieur à mon environnement pour la première fois de ma carrière. J’ai ressenti le besoin d’essayer d’apporter quelque chose de nouveau. Travailler à l’étranger était intéressant, mais je ne suis pas certain que ça ait apporté le moindre impact au disque. C’est surtout mon évolution en tant que personne qui a porté le disque dans une direction différente.
Tu as choisi de travailler avec Noah Georgeson parce qu’il a produit le dernier Cate Le Bon, que tu adores. Que trouves-tu de si particulier à ses productions qui t’a donné envie de collaborer avec lui ?
L’écoute du dernier album de Cate Le Bon m’a transporté à un point que je n’aurais jamais imaginé. Son chant, son jeu de guitare ne sont pas traditionnels. J’aimais aussi le travail de Noah avec Devendra Banhart et Joanna Newsom. Le point commun entre tous ces disques est un son étrange et dans la retenue. J’ai pensé qu’il pourrait apporter quelque chose d’intéressant à mon album.
Certains passages, comme le son de basse de ton duo avec Aldous Harding, font penser à du Cate Le Bon.
Que pourrais-je te répondre ? (Rire). C’est la même histoire depuis que la musique existe. On emprunte à tout le monde. Wise Blood a également le même son de basse. On dirait que c’est la tendance actuelle. C’est un son chaleureux que j’affectionne particulièrement.
Le fait d’arriver en studio avec quinze chansons est-il lié au fait que tu as traversé une période difficile suite à la fin de ta relation avec Aldous Harding ? As-tu besoin de te sentir dans un état particulier pour composer ?
Il m’est impossible de m’assoir sur une chaise et de me dire que je vais composer une chanson. Ça ne vient pas aussi naturellement que ça. Je me suis retrouvé dans un état d’esprit particulier qui m’a permis d’être créatif. Cette rupture a tout déclenché. C’était effrayant de réaliser à quel point je devais être au plus bas pour que des chansons sortent de moi. J’ai enfin pu vider tout ce que j’avais sur le cœur. Il était temps car mon état général m’inquiétait. En ce sens, Make Way For Love est un album thérapeutique.
Enregistrer ce duo avec Aldous Harding, ton ex compagne dont la rupture de votre couple hante ce nouvel album, était-il important pour toi ?
(Longue pause) Oui, car c’est le titre le plus cathartique de l’album pour moi. Je tente de donner nos deux points de vue sur cette rupture. Elle chante un texte qui parle d’elle, c’est vraiment tordu. Je voulais qu’elle entende ma version des faits, même si je ne l’oblige pas à y croire. Je me suis senti comme obligé de le faire. J’y dévoile des choses dont je n’avais parlé à personne, pas même à Aldous.
Make Way For Love est un album de rupture. L’humeur des sessions en a t-elle pâti ?
Nous étions plutôt détendus. Nous avons enregistré dans une maison située en haut d’une colline en Californie du Nord. J’ai d’ailleurs une anecdote. Pendant tout l’enregistrement j’ai entendu un fantôme dans une partie du studio. Les bruits étaient incessants, des cris, des pas. Noah m’a appris à la fin des sessions que c’était une blague. Tout le monde était au courant (rire). C’était leur façon de me changer les idées. Et ça a marché car j’avais peur que l’enregistrement ne soit trop intense.
Tu passes ta vie sur la route. Jouer en concert est-il plus important pour toi qu’enregistrer des disques ?
J’adore être sur la route même si j’ai souvent le mal du pays. Voyager me donne une impression de liberté. Je suis parfois heureux, parfois misérable. C’est parfait pour le musicien bipolaire que je suis (rire).
Un des titres de l’album s’appelle Party Boy. Profites-tu beaucoup des plaisirs de la vie sur la route ?
Parfois, oui. Un peu trop peut-être. Il va falloir que je prenne sur moi pour rester raisonnable car la tournée 2018 s’annonce longue. J’ai commencé à perdre ma voix pour la première fois il y a quelques semaines. Ça m’a fait réfléchir car, habituellement, c’est la seule chose que j’arrive à contrôler dans ma vie.
Make Way For Love, le nouvel album de Marlon Williams est sorti chez Dead Oceans et est disponible chez votre disquaire local.
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Crédit Photo : Michela Cuccagna
Merci à Agnieszka Gerard