[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]R[/mks_dropcap]essortir le grimoire et retrouver d’antiques recettes magiques. Je devais friser les 15 ans quand j’ai découvert l’existence de Marquis de Sade, dénomination empruntée au célèbre philosophe libertin par un groupe de rock fondé à Rennes en 1977 à l’initiative de Frank Darcel et Christian Dargelos.
Une époque où je m’évertuais à creuser ma connaissance de groupes à la périphérique genèse de mes idoles aux cheveux ébouriffés. Je dois d’ailleurs vous avouer que c’est via Marc Seberg (issu de la scission du phénomène en 1981) que je débusquais une histoire marquée par un chant dont les éclaircies s’éclipsaient derrière un brouillard épais. Marquis de Sade au fil des décennies était devenu une référence mythique qui ne pouvait se déguster que sur une platine et quelques images d’archive.
Autant vous dire que l’annonce d’une reformation de la troupe pour un unique concert fut une très belle surprise. C’est à l’initiative du graphiste Patrice Poch que le rêve devint réalité. Un ultime tour de piste venant se greffer à une exposition et la sortie d’une biographie sous la plume de l’intéressé.
Le contexte que beaucoup pensait inimaginable est dressé, la pression forcément immense car le chef de file du post-punk hexagonal avait tout de même raccroché les crampons depuis 36 ans. Une éternité !
Marquis de Sade est attendu sur ses terres bretonnes. Le Liberté se remplit de 3000 convives mêlant celles et ceux qui auront vécu de plein fouet la grande effervescence artistique rennaise aux moins « sages » qui, comme moi, auront fantasmé avec un brin de jalousie cette époque bénie. On apprendra, par la suite, la présence de fidèles en coulisses dont celle des illustres Daho, Ané, Tiersen et Obispo…
Malgré les cheveux blancs (pour ceux qui en ont encore), je ressens au travers des sourires, l’impatience de replonger dans un bain de jouvence vivifiant. Il y aura forcément de la nostalgie mais surtout une grande prestation de rock tendu et astucieux !
La première partie de la soirée sera assurée par Tchewsky & Wood. Exercice périlleux que de jouer devant un parterre de vieux briscards. La musique rythmée de Gaël Desbois aura fait mouche, emportée par la force vocale aux accents slaves de Marina Keltchewsky.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]our le récital tant attendu, c’est le Dies Irae de Krzysztof Penderecki qui fait office d’ouverture bouleversante avant qu’un voile de brume laisse deviner des ombres.
Les premières notes du bien nommé Set In Motion Memories résonnent et le public clame la venue du charismatique Philippe Pascal. Le grain de voix grave est bien en place, la théâtralité de l’instant laissant retenir le souffle de l’auditoire. La concentration sera également palpable avec Henry avant que les musiciens ne relâchent un peu plus l’étreinte. Une épatante version d’Air Tight Cell, sortira les protagonistes d’un léger embourbement de départ. C’est avec les grincements de Smiles que nous décollons réellement pour ne plus jamais atterrir.
Il faut dire que le visuel est aussi captivant que la globalité du ressenti scénique. Les quelques retours échangés amicalement me parleront de problème avec le son. Je concède avoir appréhendé ce point, n’étant pas un hyper fanatique de l’acoustique de cette salle. Peut-être pas assez de perception dans les nuances ? Trop de textures métalliques pour ce type d’ambiance ? Sans doute mais, pour ce qui me concerne, pas de quoi obstruer le dynamisme des choses et l’aura des exécutants.
Philippe Pascal réputé pour sa gestuelle de marionnette est divinement au taquet. Frank Darcel, un poil contracté sur l’entame, se raccroche aux branches et parvient à dissiper les doutes quant à sa capacité à enivrer l’espace. Thierry Alexandre, Eric Morinière et leurs acolytes bien que plus discrets sont également au diapason. Valeur hautement ajoutée grâce au saxophone de Daniel Paboeuf, laissant sur la touche le classicisme new wave pour des structures inspirées de funk, marque de fabrique de nos amis au même titre que celle employée par des formations avant-gardiste tel Père Ubu.
Cancer and Drugs nous agrippe pour d’intenses souvenirs sautillants mais c’est la folie douce de Japanese Spy qui remportera la palme permettant au combo de décrocher la lune. La fin du set principal sera jalonnée par un enchaînement encore plus remuant : Skin Disease, Wanda’s Loving Boy et ses riffs obsédants puis White Light White Heat, cover exquis du Velvet Underground (et face B du single Rythmiques) entonné par la famille Marquis de Sade quasi au complet. Ceux qui auront façonné une histoire écrite de moments emplis autant de noblesse inspirée que de dérapages incontrôlés. A l’image de ce concert sublimement imparfait conférant un subtil caractère vivant à l’exécution de l’événement.
Un rock pas comme les autres qui nous balance un méchant coup dans le rétro et qui ne pouvait s’achever sans la noirceur colossale des accords placardés de Conrad Veidt. Le second rappel offrira un Philippe Pascal usant d’un pupitre afin de délivrer une hypnotique version krautrock du Hero des allemands de Neu!
Un dernier titre en guise de réminiscence avant le clap de fin et une ovation bien méritée. A la sortie, la question au bout de toutes les lèvres était de savoir si le moment vécu était ou non un chant du cygne. Une chose est certaine, la musique de Marquis de Sade en ce 16 Septembre 2017 ne fut pas autre chose qu’une occasion rare, source de plaisir immortel !
Un grand merci à Karim Gabou pour les photos de cette soirée.