[dropcap]P[/dropcap]rintemps 2019, la plasticienne et poétesse Delphine Bretesché, invitée en résidence d’écrivaine par La Marelle à Marseille, est accueillie pendant 5 semaines dans 5 foyers de 5 quartiers de la ville.
Je la serre contre moi / Je respire la bonté de cette femme / On est émues / On se revoit de toute façon / Mais oui bien sûr / Et s’il y a quoi que ce soit tu reviens hein / Si tu veux revenir / Si tu te sens seule Delphine Bretesché
Depuis plusieurs années, Delphine Bretesché élabore un Journal dessiné dans lequel elle trace en quelques traits rapides la matière de son quotidien : une cuisine, un salon, une table de café, un sac, une église, un stylo, une cafetière… De son regard, l’espace ainsi reconstitué, et, comme Perec dans L’Infra-ordinaire, elle « interroge l’habituel » des choses et des lieux.
La particularité de ces dessins, c’est qu’ils ne reproduisent que l’espace. Or, voici que dans Marseille festin, l’écrivaine met l’humain au cœur de son projet. Thérèse, puis Fabienne, Isabelle, Sophie, Claude invitent l’auteure à venir passer une semaine chez elles. Des quartiers différents – plus ou moins la mer -, des maisons ou des appartements, des rez-de chaussée ou 6 étages à monter, des mondes si divers à découvrir, mais, à chaque fois, le même accueil, les mêmes bras grands ouverts, le même plaisir à donner un peu de son espace, de son temps, de sa personne, à celle qui vient ici pour écrire. Celle-ci, avec sa valise de 22 kg, comme un poids qu’elle ne parvient pas à se délester, se déplace, d’un cœur à l’autre. Ainsi s’élabore Marseille festin.
À chaque rencontre, les langues se délient et les vies se racontent. Les femmes parlent. Des chemins de leurs enfants tantôt ouverts à tous les possibles, tantôt semés de troubles et d’embûches. Peu de leurs hommes, souvent absents au long de ces semaines. D’elles surtout. Delphine, la narratrice, écoute, enregistre les paroles, les sons, prend la matière de son rendu de résidences. Restitue le quotidien, la vie des êtres, les faiblesses sous-jacentes, l’inquiétude, le plaisir d’être là. L’ordinaire des gens n’est jamais ordinaire. Il se raconte avec humilité et simplicité. Recevoir la parole, la reproduire, dessiner la ville et dire l’autre, c’est « Marseille destins ».
Au cœur de ce récit raconté par petites touches scandées comme les battements de la vie et du cœur, apparaît, plus que l’auteure, la femme, Delphine, là, à travers les autres : « Voyons Delphine / Une femme de 47 ans / Ça fait pas ça une femme de 47 ans ». La sensation bizarre d’un basculement dans la vie de cette femme. Le corps changeant, le temps insaisissable, un fort besoin de mise au propre. Se refaire, se repenser, comme on repeint les cuisines : « Une peinture vert olivier pour l’extérieur / Gris tourterelle pour l’intérieur / Alors il faut que j’enlève tout ? »
Retourner à Marseille, saisir la vie des autres, mais comment recevoir toute cette bienveillance partagée ? Des souvenirs surgissent (de Marseille à Mouzeil, il n’y a qu’un pas dans le labyrinthe de l’esprit). Ce n’est pas le Qui suis-je qui se dit, mais le Que suis-je devenue ? Et le questionnement de sa présence au monde. Que fait donc Delphine, ici, à Marseille, en ces temps de Pâques ?
Témoigner du don
Auprès de Maryse, Delphine suit la messe du dimanche des Rameaux. La consolation n’est pas Dieu ici, mais de nouveau le partage, et ce rameau (qu’on imagine dessiné par l’artiste), signe de paix et de réconciliation, de transmission entre les êtres, et, trimballé d’un endroit à l’autre, posé en tout espace. Et, au bout, pour quelle résurrection ? La croyance en soi, tout autant que la croyance aux autres, l’une n’allant pas sans l’autre. La transmission aussi. Le geste de Delphine sur l’épaule du fils dépressif en sera le symbole. Même geste salvateur et corps bienfaiteur auprès de Sophie qui vient de raconter le calvaire de sa fille violentée (On se serre fort / Dans les bras / Fort / Allez / fais de beaux rêves / Merci / Toi aussi ). Avec les mots et les gestes simples du quotidien, donner et témoigner du don par l’écriture.
À Marseille, à qui le livre est dédié, le festin de Delphine Bretesché n’est pas pantagruélique. Il est fait de salade, de carottes, « d’un flan à l’écorce d’orange / La recette de ma grand-mère » et d’un verre de prosecco. Tout autant d’une écoute, d’une parole partagée et d’un signe bienveillant. Rien de plus extraordinaire.
[divider style= »dashed » top= »20″ bottom= »20″]
[one_half]
Marseille festin de Delphine Bretesché
LansKine, octobre 2020
[button color= »gray » size= »small » link= »https://www.editions-lanskine.fr/ » icon= » » target= »true » nofollow= »false »]Site web[/button][button color= »blue » size= »small » link= »https://www.facebook.com/profile.php?id=100009063718256″ icon= » » target= »true » nofollow= »false »]Facebook[/button][button color= »pink » size= »small » link= »https://www.instagram.com/editions_lanskine/?hl=fr » icon= » » target= »true » nofollow= »false »]Instagram[/button][button color= »green » size= »small » link= »https://twitter.com/ELanskine » icon= » » target= »true » nofollow= »false »]Twitter[/button]
[/one_half][one_half_last]
[/one_half_last]
[divider style= »dashed » top= »20″ bottom= »20″]
Image bandeau : Image par Pixabay