[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]M[/mks_dropcap]artin Carr, en est convaincu, il a sorti son meilleur album à ce jour, New Shapes of Life. Au risque de faire crier au scandale les fans hardcore des Boo Radleys, nous ne sommes pas loin de lui donner raison. Sur ce disque cathartique, Martin Carr a bousculé ses propres règles pour accoucher de huit titres sonnant comme une sorte d’un résumé aventureux et expérimental du meilleur de toute sa carrière. Nous l’avons rencontré à Londres, quelques heures avant un concert marquant un retour à la guitare noisy. Il nous parle de l’accouchement compliqué de ce disque enregistré à la maison, de la raison pour laquelle il ne souhaite pas reformer les Boo Radleys, de sa réconciliation avec Luke Haines et de sa fragilité assumée.
The Break, ton album précédent, a été bien reçu par la critique. Pourtant tu trouves qu’il lui manquait quelque chose. Pourrais-tu nous dire quoi ?
Le process a été long depuis le dernier album de Brave Captain (le projet précédent de Martin Carr ndlr). Entre 2005 et aujourd’hui, j’ai commencé à trouver l’écriture de chansons difficile. Il me fallait quelque chose de nouveau. Juste avant The Break, je me suis mis au fingerpicking pour m’ouvrir des pistes différentes. L’inspiration est revenue. J’étais plus confiant, mais il manquait quelque chose en termes de production. Je suis pourtant fier de cet album. The Break aurait sonné différemment si j’avais eu plus d’argent et de temps alloué en studio. Il me laisse l’impression d’un album avec un potentiel pas suffisamment exploité.
Qu’as-tu voulu changer pour New Shapes of Life ?
J’ai conçu ce disque dans des conditions plus relaxantes, à la maison. J’ai enfin le home studio dont je rêve depuis l’âge de 14 ans. Les chansons ont été construites sans me soucier de comment elles allaient sonner en live ou si elles comprenaient les fondations classiques “guitare, basse, batterie”. Si une structure moins conventionnelle sonnait mieux, je la gardais. Je fonctionnais comme à l’époque de Brave Captain. Ça m’a valu un manque de succès croissant. Ma carrière aurait peut-être été différente si j’avais procédé autrement. Pour New Shapes of Life j’ai porté une grande importance aux paroles. Il est facile de bâcler quelques lignes si elles sont noyées dans la masse. Le problème étant que par la suite tu dois les chanter en concert et que ces textes finissent par t’ennuyer profondément.
New Shapes of Life est le disque le plus fidèle à tes obsessions musicales que tu ais sorti à ce jour. On y retrouve de la soul, du dub, de la musique électronique.
C’est un disque que je pourrais écouter à la maison. C’est le premier album qui m’est fidèle depuis la sortie d’Advertisments for Myself de Brave Captain en 2002. C’était aussi le cas pour C’mon Kids des Boo Radleys. J’ai tout ce qu’il faut comme matériel à la maison pour sampler les sons qui m’intéressent. Pendant six mois, j’ai composé et enregistré à ma guise. J’avais aussi les enfants à gérer, ce qui est souvent chronophage. Les avantages et les inconvénients ne sont pas les mêmes quand tu enregistres en studio ou à la maison (rire).
L’album est principalement constitué de samples, ce qui paraît difficile à croire tant le son sonne chaleureux et organique.
C’est parce que je n’ai pas travaillé à la manière des producteurs de Hip Hop. Quand un son me paraissait intéressant, je le samplais avant de le jouer comme si c’était un véritable instrument. C’est étrange car j’ai vite réalisé, que sans toucher au moindre instrument, j’allais tenir mon meilleur album à ce jour. Je suis plus confiant pour la suite, pour les albums à venir. Je soigne ma dépression, le futur ne me fait plus peur. J’ai hâte de passer à l’album suivant, de tourner pour New Shapes of Life. C’est inhabituel, je suis surexcité.
Tu ne t’en caches pas puisque tu l’évoques ouvertement dans la biographie de l’album, tu as traversé une dépression il y a quelques mois. Ce nouveau disque a t-il été cathartique ?
[mks_pullquote align= »left » width= »280″ size= »22″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″] « Je me sens plus comme un compositeur que comme un musicien. » [/mks_pullquote]
Oui. Je suis allé chercher ce disque au fond de moi. Ça m’a rendu fou par période. J’ai pété les plombs. Je suis heureux d’être passé par là, c’était nécessaire. Ce n’est pas un album à propos de maladie mentale. Certains artistes sont doués pour le traduire en chanson, pas moi. Je ne parle que de découverte de soi. A la fin de l’enregistrement je suis allé voir un docteur. J’aurais dû le faire il y a des années. Je ne suis plus la même personne.
Il y a un contraste entre ce disque, principalement constitué de samples et les premiers concerts que tu viens de donner. Tu joues de la guitare électrique sur scène, et elle s’entend beaucoup. Pourquoi ?
Jouer de la guitare me procure à nouveau du plaisir. J’en joue sur tous les titres du dernier album en concert. C’est étrange, non ? Je voudrais avoir trois amplis différents. Un pour chaque type de son afin d’obtenir un rendu noisy. Depuis la séparation des Boo Radleys je n’ai jamais eu quelqu’un d’aussi solide à la basse que Tim Brown pour pouvoir me lâcher à la guitare. Sice était devenu un excellent guitariste vers la fin. J’étais libre de faire ce que je voulais. Généralement ça signifiait jouer le plus fort possible (rire). Nous sommes sollicités régulièrement pour une reformation. Me retrouver sur scène avec eux à jouer Lazarus à un volume extrême me rendrait heureux. Mais je n’ai pas envie de tout ce qui va avec. Les répétitions etc. Je voudrais juste arriver dans une salle, monter sur scène directement et m’amuser avec eux. J’ai trop à faire dans ma vie de tous les jours.
Tu préfères passer à côté d’une belle somme d’argent plutôt que de reformer le groupe ?
Je me sens plus comme un compositeur que comme un musicien. J’ai 49 ans et il me reste beaucoup de choses à accomplir avant de mourir. J’aime tous les membres du groupe mais je ne me vois pas relancer la machine. Je n’ai pas envie que Luke Haines (The Auteurs, Black Box Recorder ndlr) écrive le même tweet nous concernant que celui qu’il avait posté pour la reformation de Ride : “Poules mouillées” (rire). Il est ignoble, mais qu’est ce qu’il me fait rire. Les Boo Radleys ont tourné avec lui, il nous haïssait. Je le lui rendais bien en me comportant comme un abruti avec lui. Nous nous sommes excusés mutuellement sur Twitter il y a quelques années.
Quelque chose change clairement au nouveau de ta voix. Est-ce lié au contenu des paroles ?
Mon chant n’a pas été travaillé plus qu’à l’habitude. J’ai juste plus réfléchi en amont à la façon de l’aborder. J’essaie toujours de pousser ma voix au maximum car c’est ce que j’aime le plus. C’est sans doute lié à ma passion pour les Beatles. Le résultat n’est pas toujours concluant. J’ai l’impression de chercher à imiter Bobby Gillespie. En tentant l’opposé, un chant très bas, j’ai découvert que je pouvais véhiculer des émotions différentes. L’idée m’est venue de commencer la compositions par le chant et de tout construire autour. Mes mélodies en sont sorties grandies, car ça leur donnait une nouvelle direction.
Tu exposes également ton chant à une fragilité à laquelle nous n’étions pas habitués. Ta voix craque sur The Van. Pourquoi avoir voulu laisser ce passage sur l’album ?
C’est un passage que j’adore particulièrement. J’ai gardé beaucoup de pistes de chant des maquettes. J’aimerais être capable de véhiculer de telles émotions volontairement car elles ajoutent une atmosphère particulière à l’album. Je me moque de chanter juste car à force de chercher la perfection, tu oublies le contenu des paroles.
Les lignes mélodiques sont incroyables et restent en tête dès la première écoute. Est-ce que le fruit d’années passées à tenter de composer des hits pour les autres se ressent ?
Non, car les mélodies ne sont pas ce qu’on me demande en priorité. A part A Mess Of Everything, aucune mélodie ne ressemble à ce que j’ai fait précédemment. Ce changement est 100 % lié au fait d’avoir composé les paroles en premier.
L’album ne comporte que 8 chansons et ne dure que trente minutes. Avais-tu d’autres titres que tu n’as volontairement pas intégrés ?
Je voulais dix titres depuis le départ. J’ai dû en écarter deux qui ne collaient pas au cadre général. Je me suis retrouvé coincé pour la suite car je savais que je ne pourrais plus écrire de titres dans la même veine, trop de temps s’était écoulé. Ce n’est pas à mon habitude car j’aime avoir 16 ou 17 titres. Mais réécouter un excellent disque comme le Station To Station comme Bowie, ne comportant que 5 titres, m’a fait changer d’avis.
Tu as beaucoup écouté Bowie avant la conception de l’album. Sa mort t’a visiblement marqué. Étais-tu un fan de longue date ?
Oui et non. J’ai des périodes où je suis obsédé par un artiste. J’écoute tout ce qu’il a fait, j’achète le moindre disque sorti. Je voulais me plonger dans sa discographie depuis longtemps. Sa mort a été le facteur déclencheur. Je l’ai utilisé pour cet album, comme lui utilisait les autres. Comme une muse. Ce sont des vidéos de ses interviews qui m’ont inspiré le plus quand je composais. Je n’ai même pas essayé de copier sa musique car c’est du domaine de l’impossible. On ressent toutefois quelques influences vocales, notamment sur le morceau titre, New Shapes of Life. Il a fait partie intégrale des six mois les plus étranges de ma vie.
Tu as toujours été vocal sur la politique dans tes chansons ou sur les réseaux sociaux. C’est la première fois depuis longtemps que l’on en retrouve aussi peu dans un de tes albums. N’as-tu pas été tenté d’en inclure plus ?
[mks_pullquote align= »right » width= »280″ size= »22″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″] « J’ai du mal à imaginer de sortir un album sans en extraire de single. C’est pour moi l’équivalent d’une carte de visite. » [/mks_pullquote]
Seul Main Man parle vaguement de politique. J’ai préféré ne pas tout mélanger pour les raisons évoquées précédemment. Le prochain album sera plus engagé. J’ai ressenti le besoin de sortir Gold Lift, une chanson à propos du Brexit, juste avant la sortie de New Shapes of Life. Je travaillais sur plusieurs titres à cette même période, tous orientés autour la politique. Étrangement, enregistrer un album de chansons d’amour me travaille de plus en plus. Je ne sais pas lequel sortira en premier.
Tu te retrouves ce soir à fêter l’anniversaire de ton label, Tapete Records. Tu partages l’affiche avec des légendes comme Robert Forster ou Pete Astor (avec qui tu as été signé sur le même label, Creation Records). Comment vis-tu le fait de te retrouver sur une maison de disque dont l’argument principal est de continuer à partager le talent de songwriters ayant déjà fait leurs preuves ?
Je suis content d’être signé chez eux. C’est le seul label qui a accepté de sortir mon précédent album. J’avais envoyé les démos de The Break un peu partout sans jamais avoir de retour positif. Et puis un jour j’étais au parc avec ma fille quand le téléphone a sonné. C’était quelqu’un de Tapete me demandant si je voulais venir à Berlin pour discuter. Je leur suis reconnaissant, ils m’ont permis de rebondir. Je suis un fan de Pete Astor avec qui je partage le même label pour la deuxième fois. Je l’ai croisé backstage il y a longtemps. J’étais si enthousiaste de le rencontrer que je lui ai fait peur (rire).
Tu sors toujours des vidéos soignées de tes singles une époque où certains s’en passent totalement. Est-ce important pour toi ?
Je suis un grand fan des singles. J’ai du mal à imaginer de sortir un album sans en extraire de single. C’est pour moi l’équivalent d’une carte de visite. Future Reflections a été proposé en premier car il n’a rien à voir avec ce que j’ai sorti jusqu’à aujourd’hui. Je voulais surprendre.