[dropcap]C'[/dropcap]est un don que j’aimerais posséder, celui d’ubiquité. Matt Elliott est de ces chanceux qui peuvent se vanter d’un tel pouvoir, lui l’architecte du projet électronique The Third Eye Foundation invoquant une noirceur indélébile sur ses effets impulsés au travers d’une inventive convergence entre drum’n’bass et ambient, lui aussi l’artiste accompli sous son propre patronyme pour une délivrance toute autre, plus organique, à la faveur d’un registre « slowcore » qui vient aujourd’hui s’assaisonner d’une nouvelle sensation… et non des moindres.
Nous connaissions déjà la propension de l’intéressé à s’immiscer dans la lignée des bardes cafardeux, alors, autant être totalement transparent, Farewell To All We Know ne déroge pas à cette règle et la pochette qui illustre le disque est en ce sens la métaphore d’un trouble évident au-delà d’un titre floqué comme indice de l’humeur ombragée animant inlassablement le natif de Bristol installé depuis plusieurs années à Nancy, fief de son fidèle label Ici, d’ailleurs.
C’est dix titres qui s’écoutent autant avec mélancolie qu’admiration, dix titres qui vous écorchent le cœur tout en aguichant l’oreille, dix titres agencés et pensés afin qu’un spleen nous dévore sans laisser de miettes.
Présenté comme tel, vous pourriez être effrayé par la teneur peu engageante de l’œuvre. Je ne vais pas vous mentir, si vous cherchez la lumière, il faudra la débusquer du côté des interstices. Pour autant, le rendu global est estomaquant.
De l’ouverture What Once Was Hope qui prend la peine de s’épancher à la grâce d’une déclinaison acoustique, aux accents balkaniques d’une suite venant caresser les cordes de nylon avec une dextérité aigüe, c’est un contraste qui prédomine au fil des secondes. L’aspect caverneux apporté au chant est une source de sensibilité extrême et, à ce titre, les murmures profonds de Matt Elliott ne sont pas sans rappeler ceux du regretté Léonard Cohen. Les voltiges s’effectuent alors en bas du manche tandis que les résonances lourdes s’octroient le délice de nous rassurer, nous captiver avec pour offrande un bouquet des plus boisés.
C’est le glissement d’un piano hypnotiseur comme le flux d’une rivière à l’aube des grands débits puis, dans la même veine, les nervures hispanisantes de The Day After That s’entendent à la lueur diaphane d’une fragilité sourde, la douleur qui s’exprime sous le soleil avant de prendre de la hauteur au contact des frottements accélérés d’une guitare ensorcelée.
Matt Elliott prend le temps de déplier sa prose, berçant l’auditeur dans une forme de généreuse intimité, un huis-clos soustrait du cadre de toute surenchère et serti d’une aura décortiquée avec minutie (Bye Now). Le musicien est pour cela épaulé par David Chalmin (piano et arrangements) mais aussi le violoncelle envoûtant de Gaspar Claus et les rondeurs de basse de Jeff Hallam. La cohérence est de mise et la tension totale !
Les échappées instrumentales permettent quelques inspirations soignées, notamment au sein de Can’t Find Undo dont les imageries et effets évoquent des roulis et grincements virant à l’obsession. À l’inverse, Aboulia se meut d’une tendresse pour nos yeux embués.
Au titre du dénouement, Crisis Apparition se veut la complainte terrible soufflant sur les braises d’un final agonisant. Il aurait été sans doute malhabile d’achever l’album sur une note aussi funeste. Matt Elliott avec intelligence ne s’engouffre pas dans cette brèche trop facile et soulage le caractère atrabilaire de ses compositions en expulsant ses sombres affections à l’aide d’une rédemption à la vie incarnée sous les traits de The Worst Is Over.
Pour toutes ces raisons, Farewell To All We Know pourra être rangé sur l’étagère des disques qu’il convient d’apprivoiser avec, bien à l’esprit, ce désir manifeste de s’échapper de la grisaille. Un disque épuré et gorgé d’espoir malgré des apparences trompeuses.
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Farewell To All We Know – Matt Elliott
Ici, d’ailleurs – 27 mars 2020
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Image bandeau : Lea Jiqqir