Il y a des périodes de votre existence qui traversent l’espace de manière déstabilisante avec la sensation de quitter un état de quiétude pour sombrer dans les humeurs plus ombragées tout en accordant à votre personne la faculté de s’accrocher à la perception d’un reflux, le désir d’un ressenti meilleur. La musique devient alors ce catalyseur de la pensée.
Je ne sais pas si Matt Elliott a sciemment façonné son neuvième album (du moins hors de son projet électronique Third Eye Foundation) en songeant à ce trouble magnifié par quelques notes. Toujours est-il que la magie atrabilaire opère. La précédente œuvre intitulée Farewell To All We Know sonnait comme un adieu au monde. La pochette revêtait métaphoriquement l’aspect d’une perdition dans les brumes d’une forêt inquiétante. Côté illustration, cette fois-ci le ciel de traine annonce le contraste. Le recueil s’en trouve en effet revêtu.
The End Of Days s’offre à nous à la lueur d’arpèges glissant sur le manche, un chant toujours grave, un piano mettant du baume sur les blessures, au service de complaintes géographiquement sans frontière, découlant aussi bien du folklore balkanique pour mieux dévier vers des tonalités «méditerranéennes » quelque peu chaleureuses. L’allure générale est fortement mélancolique et prend sa place dans l’alchimie d’un classicisme bienvenu. Avec la complicité de son compère de jeu David Chalmin, l’artiste fixe les règles d’une trame finement épurée, délicate et hautement alimentée par le spleen d’un saxophone venu singulièrement agrémenter des compositions qui ne semblent plus en finir… Pour notre plus grand plaisir.
Avec January’s Song, les lamentations surgissent du passé. Les chœurs meurtris nous interpellent. C’est le cœur des Hommes qui est touché. Le nôtre de concert… Matt Elliott détient l’art de susciter le chagrin sans pour autant annihiler son réel pouvoir d’attractivité sensorielle. Son grain aux accents profonds (on songe bien évidement à Leonard Cohen) vient nous surprendre à travers les reflets d’une progression inédite, celle d’une éclaircie vocale nouvellement assumée. Song Of Consolation est en cela une succulence, peinte comme un ciel de mars avec ses froideurs laissant malgré tout entrevoir quelques rayons, l’allégorie d’une évidente confusion intérieure.
Matt Elliott laisse filer les secondes sur ce fil tendu tout en apportant de la dextérité à l’ouvrage, une fluidité décantée au gré des instants purement instrumentaux, histoire de mieux nous happer de ses émotions en suspension, comme une pause chassant le temps qui défile, invitant à la contemplation d’une guérison des âmes pas forcément si évidente. L’écho d’une dramaturgie nouvelle qui n’oublie pas certaines audaces plus électriques bien qu’invariablement déchirantes (Flowers For Bea).
Encore une fois, à plus d’un titre, nous en ressortons totalement bouleversés.
Matt Elliott · The End Of Days
Ici, d’ailleurs – 31/03/2023