Même si l’on a entendu votre voix sur certains disques de Scratch Massive, votre chant est davantage basé sur la mélodie et mis en avant sur Polaar.
Qu’est-ce qui vous a fait, dans ce domaine également, sauter le pas ?
MG – J’étais seule en studio avec mes machines et j’avais envie de voix. J’ai vite dû me rendre à l’évidence que ça allait être compliqué d’avoir à appeler des chanteurs extérieurs en permanence. Je me suis alors mis à travailler ma propre voix, mais pas nécessairement pour ne faire que des chansons pop. J’avais aussi envie d’aller dans d’autres directions, comme sur le titre Ice Teens, qui est un morceau entraînant, un peu trance voire dance, pour lequel j’ai fait des collages de bouts de voix. J’ai enregistré énormément de prises que j’ai ensuite travaillées un peu comme des synthés, en fait.
La voix est-elle donc pour vous une matière sonore comme une autre ?
MG – Je voulais que la voix habite au plus profond des morceaux, qu’il y ait un supplément d’âme au-delà des sons synthétiques. Mais je n’avais pas non plus envie qu’il n’y ait que des chansons structurées avec le chant en avant, même s’il y en a quand même, comme Standing By My Door. J’éprouvais le désir d’une approche plus hybride, notamment par l’utilisation du pitch (variateur de vitesse, ndlr), en accélérant les voix ou en les ralentissant, du plus grave au plus aigu. J’ai réellement abordé ma voix comme un nouveau terrain d’expérimentation, en m’amusant à replacer des bouts de voix enregistrée un peu partout. C’est la première fois que je travaille comme ça à ce niveau.
Envisagez-vous d’emmener ces titres sur scène dans un contexte live, hors DJ set ?
MG – Là encore, je voudrais faire quelque chose d’hybride, je n’ai pas du tout ce fantasme de la chanteuse, mise en avant sur scène, seule derrière son micro. J’ai déjà fait pas mal d’essais et j’ai plutôt envie de créer une sorte d’univers sonore en croisant les platines et le contenu du disque, en utilisant des pistes séparées.
Même si vous serez seule en scène, avez-vous été aidée par des collaborateurs particuliers pour mettre en forme le disque ?
MG – Pour le mixage son de Kaamos et des morceaux que j’ai gardés pour l’album, j’ai travaillé avec un premier ingénieur du son spécifique, Luc Rougy (collaborateur régulier du label Pan European, ndlr), avant de faire appel à Julien Barthe, alias Plaisir De France, pour s’occuper ensuite des autres titres et finaliser l’ensemble. Je le connais depuis très longtemps puisqu’on le voit même dans les images de 1994, et en réfléchissant à qui je pourrais demander de mixer l’album, j’ai fini par dire à Arthur Peschaud que je pensais avoir trouvé « l’homme de la situation » (rires). J’ai donc appelé Julien et il a accepté tout de suite, très enthousiaste (sourire). On a passé le mois de décembre dernier à mixer les pistes dans son petit studio. D’ailleurs, pour l’anecdote, alors qu’on était très en retard pour rendre la version finale de l’album, je continuais à chercher un prénom se terminant en a pour baptiser le dernier morceau du disque, après avoir déjà utilisé celui de Kirsikka, qui est un vrai personnage du film Kaamos. Nous étions encore en train de nous échanger des fichiers son par WeTransfer au moment où il est parti à la maternité pour accompagner sa femme qui était sur le point d’accoucher (rires). C’est lorsqu’il m’a annoncé la naissance de sa fille et m’a dit qu’elle s’appellerait Anna que j’ai tout de suite eu l’idée de donner son nom au morceau final de Polaar. Et il a trouvé ça génial (sourire).
Vous travaillez en duo depuis bientôt vingt ans avec Sébastien Chenut au sein de Scratch Massive.
En quoi la création en solo diffère-t-elle de votre processus habituel ?
MG – Ce qu’il y a de bien lorsqu’on travaille à deux, c’est que chacun prend ses marques et finit par faire ce qu’il a l’habitude de faire ; il peut y avoir une forme de routine qui s’installe. Moi je m’occupe surtout des mélodies, tandis que Sébastien travaille plutôt sur la production et la matière sonore. Du coup, quand on se retrouve à travailler seul(e), on est face à ses failles et il faut arriver à dépasser ça. J’avais peur de ne pas y arriver, j’avais toujours travaillé avec quelqu’un susceptible de m’aider lorsque je doutais de quoi que ce soit. Ce que je vais dire n’a absolument rien de dégradant pour Séb, bien au contraire, mais j’avais pris l’habitude d’être « assistée » dans tout ce que je faisais jusqu’alors.
J’imagine que l’atout du travail en binôme tient aussi dans la prise de recul fournie par l’autre.
MG – Oui, il y a ça aussi. Sébastien est quelqu’un d’assez dynamique, qui ne doute pas trop. Et vu que moi, c’est plutôt l’inverse, je me suis dit qu’en travaillant seule, ça allait vite tourner en rond si je n’avais pas quelqu’un pour me pousser (rires). Seul(e), il faut vraiment croire en soi. Tout ce qui peut devenir un frein parce qu’on ne sait pas le faire, il faut l’apprendre pour pouvoir couvrir tous les terrains nécessaires. Ça, c’était vraiment intéressant, et du coup, je m’améliore au fil du temps (sourire).
Vous avez travaillé avec Chloé, et côtoyé Miss Kittin ou Jennifer Cardini à l’époque du mythique club parisien Le Pulp.
Existe-t-il une forme de solidarité féminine dans le milieu électro français ou même international ?
MG – En tout cas moi j’y tiens. Il peut aussi y avoir une forme de concurrence sous-jacente, et comme nous ne sommes pas quarante, on retrouve vite les mêmes têtes (sourire). Je trouve ça important de se soutenir à fond, c’est aussi comme ça que nous sommes plus fortes, en étant soudées. J’ai invité Chloé à venir jouer à ma release party le 9 juin (à la Gaîté Lyrique de Paris, ndlr), justement parce que je ne voulais pas d’un syndrome « Hélène et les Garçons », en me retrouvant à être la seule fille au milieu d’un plateau de mecs (rires). On se connaît toutes depuis longtemps et c’est quelque chose d’agréable. On suit pas mal ce que font les unes et les autres, d’ailleurs Jennifer m’a demandé de lui envoyer mon album avant de partir en Allemagne (sourire).
On dit souvent que le milieu du rock est assez sexiste. Ressentez-vous la même chose dans celui de la techno ?
MG – En tant que fille dans ce milieu, je trouve quand même qu’on nous écoute pas mal. J’ai l’impression que les choses ont changé dans le bon sens. Alors bien sûr, je ne dis pas qu’il faut arrêter de faire attention à ça, puisque je prends moi-même la peine de faire de la place aux autres filles. Mais je constate quand même une véritable ouverture, il n’y a pas d’esprit réactionnaire à ce niveau.
Après beaucoup de projets centrés sur l’image, avec Scratch Massive ou sous votre nom seul, êtes-vous tentée de passer derrière la caméra ?
MG (moue dubitative) – Oh, pas sûr. J’ai fait des études de scénario à la base, et j’adore le cinéma, mais je suis bien consciente que passer derrière la caméra, c’est encore une autre étape bien distincte. Écrire, c’est différent. J’adore ça, j’ai d’ailleurs écrit un texte pour le prochain Slove (duo composé de Julien Barthe et Leo Hellden, de Tristesse Contemporaine, ndlr).
Avec Scratch Massive, vous êtes l’un des groupes électroniques français contemporains qui a la discographie la plus conséquente : en quinze ans, vous avez publié trois albums studio, deux albums live, deux CDs mixés et trois bandes originales de film.
C’est important pour vous de vous dire que vous laissez une trace ?
MG – Je pense que cet aspect-là relève du rôle de Sébastien, qui est assez soucieux de ça et y fait très attention. Il est beaucoup plus précis que moi pour tout ce qui concerne les sorties, plus préoccupé par cette idée de laisser une trace. Pour ma part, j’ai vraiment tendance à moins y penser. Par exemple, la démarche d’avoir sorti des albums live, ce que je trouve très bien, c’est d’abord son idée à lui. C’est vraiment quelqu’un de très entreprenant pour ces choses-là.
La nuit perpétuelle que vous avez filmée dans Kaamos et prolongée avec votre nouvel album constitue-t-elle une sorte de fantasme de clubber ou de raver ?
MG – Je dois dire que je ne suis pas une immense clubbeuse, même si j’ai été une vraie raveuse (sourire). J’aime plutôt la nuit pour le sentiment de bulle qu’elle crée de façon induite. Par exemple, j’adore travailler la nuit dans mon home studio, je mets le téléphone dans une autre pièce pour être tranquille et j’aime cet environnement d’apaisement et de calme. La notion du temps disparaît, on se sent presque protégé de tout et j’aime bien cette sensation-là. C’est aussi ce qui m’a frappée lorsque j’étais en Laponie avec Jamie : la vérité c’est qu’au final cette ambiance de nuit hivernale est loin d’être angoissante, les gens se retrouvent dans leurs propres cocons, sont très attentifs à la décoration de Noël de leurs maisons, qui deviennent de vraies petites boîtes de vie. Il y a paradoxalement quelque chose de très chaleureux dans ce phénomène de nuit perpétuelle, et c’est plutôt cet aspect-là qui m’attire. La nuit, je fais tellement de rêves que ça m’épuise, mais c’est cette dimension-là qui m’intéresse, bien plus qu’une ambiance de clubbing : l’idée que l’inconscient sorte de l’ombre pour prendre le pouvoir.
Polaar est disponible en CD, vinyle et digital via le label Pan European Recording depuis ce vendredi 12 mai 2017.
Maud Geffray sera à l’Aéronef de Lille (avec Deena Abdelwahed et DJ Rag) le samedi 3 juin et à la Gaîté Lyrique de Paris (avec Chloé, Philipp Gorbachev, Voiron, Krampf et Casual Gabberz) le vendredi 9 juin 2017.
Photo bandeau © Nathalie Hinstin, photo extérieur jour © Alexia Cayre, photo intérieur © DJFILES.org.
vous ne citez pas les crédits photos…
Bonjour Nathalie,
Merci pour votre remarque très judicieuse. Les crédits photo ont été ajoutés en fin d’article, je vous prie de m’excuser pour la gêne occasionnée. Très cordialement, FG.