[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]S[/mks_dropcap]i j’étais à la place de Michel Cloup, je crois que je serais fatigué. Fatigué d’être, 20 ans plus tard, l’éternel ex-Diabologum. Certes, il a participé à l’un des albums les plus marquants de l’histoire du rock français, mais c’était il y a 20 ans. Depuis, il en a fait des choses, et des choses passionnantes. Avec Expérience. Et puis, voilà que le troisième album de Michel Cloup Duo déboule le 1er avril prochain. Autant vous le dire, c’est son meilleur. Non pas que les deux autres soient mauvais, non, au contraire, mais là, c’est le pas en avant, la marche supplémentaire, l’étage qui mène au sommet de l’immeuble.
Pourtant, aux premières notes, je me suis dis : « Qu’est-ce que c’est que cette suite d’accords facile et entendue mille fois ». Mais après 20 ou 30 secondes, c’était terminé. Les textes sont toujours ancrés dans cette réalité, ni noire, ni désincarnée, ni même désespérée, simplement quotidienne et réaliste. Les textes ampoulés, retors pour se donner bonne conscience en se disant que l’on a lu tout Baudelaire n’ont rien à foutre ici.
Les mots utilisés parlent à vous, à nous, à tous, pourquoi, car s’il parle visiblement beaucoup de lui, il parle aussi beaucoup de nous parce qu »il parle de la vie. Sociale, amoureuse, quotidienne. La vie, la mort, la perte des repères, des écarts sociaux. La classe ouvrière s’est enfuie, comme une manifestation interne, cette fermeture de rideau que chacun redoute.
Parlons son, production, car le son s’étoffe, se clarifie, se réchauffe quelque part, sans doute pour laisser place au propos, toujours plus pertinent. Parle-t-il de lui, du voisin, de l’ouvrier, ou simplement de nous, tous.
Ici et là-bas groove étrangement, sur fond de distance, comme une carte postale venue de quelques mille kilomètres qui nous parle comme issue du voisin de palier, car une fois de plus, Michel Cloup nous parle de notre quotidien. Certes, il parle de nous, mais ne se regarde pas le nombril, il parle de lui, comme il parlerait de nous car ce qu’il évoque ici ou là peut nous arriver à tous, peut nous rappeler un petit quelque chose, comme un polaroid sorti d’un carton. La concision des chansons étonne et pourtant, comme jamais, il trouve ses mots comme un résumé qui touche à chaque fois au but. 2minutes 25, et rien de plus. Magnifique morceau qui n’appelle pas une seconde de plus. Il y parle de mes comptes bancaires, de vos comptes bancaires, de ces découverts qui vous assaillent à quelques jours de la paye, et puis malgré tout, on vit, on voyage à Rome car on se rappelle que sur terre, nous n’y sommes que quelques 20 à 30 000 jours. Mais c’est un voyage de courte de durée car le sursis ne dure que l’espace d’un voyage pour nous rappeler ensuite que la classe politique nous emploie comme de simple bulletins inutiles et de bonne conscience, mais qui au fond ne parviennent plus à nous faire entendre, nous n’arrivons plus à dire non.
Musicalement, Michel Cloup, qui a changé de batteur au passage, semble renouer avec une musique plus directe, celle qui frappe, comme un coup de poing dans la gueule, rarement aussi en phase avec le propos. C’est l’album de la maturité pourraient dire les journaleux de tout bord, mais soyons lucides, la maturité, Michel l’a acquise depuis des lustres. Le rejet de l’autre, le racisme primaire, et la violence ordinaire, celle qui croit être connue et reconnue de tous, Michel Cloup la pose clairement au travers d’ Animal blessé. Posons la question clairement : « avons-nous déjà subi le racisme ordinaire, la violence gratuite, le regard en coin pour un couleur qui ne convient pas, une phrase agressive, même sous couvert d’une plaisanterie ».
Toujours et encore, Michel Cloup, sans plomber le propos vous remet dans le droit dans le chemin. « Si tu sais pas vraiment, ferme donc ta gueule, ça t’évitera de dire des conneries ». L’album semble vouloir cette fois passer en revue les problèmes sociétaires, les séparation ethniques communautaires, les vieux, les jeunes, séparer pour mieux régner dans une société qui se regarde en chiens de faïence, quelle qu’en soit la raison. Mais musicalement alors, et bien tout y est moins étouffant, pour laisser le propos se développer, se rendre intelligible pour tous et pourtant, les explosions sonores ne manquent pas. Mais les excès ne sont pas de mises, comme un calcul savant, tout sait s’arrêter une fois que tout est dit…Et puis voilà la fin, le générique qui vous assoie un disque, qui vous allonge un auditeur, sur un divan de psy ? Non, sur un canapé pour faire point.
D’abord sur le pays, une liste de ce que notre pays compte comme défaut et autant dire que la liste est longue et qu’elle pourrait être interminable. La musique se plombe, car là, non, on ne rock’n rollise plus, on constate, on énumère, on plombe, mais pour pour peu que l’on soit lucide, on s’accorde vite avec son propos. La musique monte peu à peu, sur une batterie martelée car oui, le changement de batteur change aussi la donne musicale.
Evidemment, Michel Cloup fait du Michel Cloup, il ne vire pas Justin Bieber, je ne vais pas m’amuser à dire que c’est meilleur que Fauve, que Noir Désir, que je ne sais pas qui… d’abord parce que ce n’est pas mon truc, je m’intéresse à un disque, pas à ceux des voisins, et puis Michel Cloup n’est pas du genre (du moins c’est ce qu’il ressort du personnage) à dénigrer machin ou bidule. Il s’en fout, il mène sa carrière, fait évoluer tout en cultivant son sillon et en l’améliorant à chaque disque. Il semble se sentir étranger partout comme il le dit sur Etranger.
Et puis voilà que le disque se termine. Et de quelle manière. De celle qui vous remue. Vous raconte-t-il un moment de sa vie, vous raconte-t-il un mini roman ? Je ne sais pas, mais il vous raconte une histoire bouleversante, sur un texte d’une réalité qui vous bouscule, du carton que l’on ouvre, aux souvenirs qui vous sautent à la gueule, les regrets des non-dits, les fiertés de ce que les autres ont été, des thunes qui vous manquent dès le 15 du mois, des rapports père fils, des souvenirs qui vous torturent à 3 heures du matin, des souvenirs, douloureux, joyeux, la vie, putain, la vie. Et la musique sur ce spoken word allez vous me dire ? C’est longue épopée sonore, ces notes jouées en boucles, comme un drone à la montée infinie, où la réverb’ est là pour appuyée les souvenirs, car l’histoire prime alors, la mélodie ne pourrait que disperser l’attention, et pourtant tout monte.
Michel Cloup vous remue les tripes peu à peu, tout au long de ce quart d’heure qui pourrait facilement franchir le cap de la demi heure sans que l’on y trouve à redire. L’anarchie sonore, comme pour soutenir ces lointains souvenirs qui virent visiblement à l’obsession, vous embarque vers une adresse en italie, l’un des meilleurs morceaux français enregistrés ces dernières années… Et puis de très longues années… Michel nous fait savoir à la fin du disque qu’il reste car ce n’est pas le moment de s’enfuir. Je confirme, nous n’avons jamais eu autant besoin de lui. Il vient juste d’enregistrer l’un de meilleurs disques français entendus depuis des années.
Michel Cloup Duo, Ici et Là-bas, le 1er avril chez Ici d’ailleurs.