[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]’est avec quelques semaines de retard que les mots se posent enfin sur le papier pour évoquer Schlim, le nouvel opus de Micro-Pénis. Le label Doubtfulsounds nous offre ici le troisième album de ce collectif toujours aussi furieux qui navigue entre camisole de force et psychotropes en cascade. Schlim, qui signifie « bave » en alsacien, a été réalisé sur près de quatre ans, et, une fois de plus, Micro-Pénis vous embarque dans un paysage sonore au bord de la limite. Quelle limite ? Celle de la folie ? Celle du chaos ? Celle des couloirs d’hôpitaux psychiatriques ?
Sur le site de Doubtfulsounds, on peut lire ceci : « Un mot d’ordre fut décrété collectivement : aucun des membres du groupe ne serait sous camisole chimique lors de ces sessions. C’est sans la prise de son traitement, qu’un psychotique est réellement lui-même et peut ainsi exprimer toute sa folie introvertie. Il fût également décidé qu’a chaque session chacun utiliserait un instrumentarium différent, qu’il soit acoustique ou électronique, maîtrisé ou non. »
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]ifficile de trouver plus juste description pour ce disque hors norme. Art Brut, Drone, voix distordues jusqu’à la nausée, les silences entrelacent les moments purement brutaux, parfois à peine soutenables. La succession de bruits étranges posent la question de la réalisation : micros frappés, portes métalliques tambourinées, parasitages intempestifs au milieu de nappes méditatives, et manipulations sonores attachées de force à une folie ascendante.
Des mots déglutis dans une langue que l’on peine à reconnaître, les hurlements d’un psychopathe se mêlent à un chaos indescriptible, dans une ascension irrésistible vers l’insoutenable mais élégante folie sonore. Tout se fige alors, derrière un sonar, et une voix aux relents autistes semblant faire des essais micro après l’avoir gobé jusqu’à son jack. Viennent ensuite des sons stridents, jouant avec le harsch noise comme d’autres font leurs gammes. Le disque ne cesse de surprendre, rappelant parfois les pionniers de la musique électronique, mais aussi la formation Cromagnon et son album Orgasm.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]lairement pas taillé pour ambiancer votre apéritif entre amis, le disque s’écoute de préférence seul et dans le noir, pour qu’il vous assaille, vous agresse, comme il semble vouloir le faire à chacun de ses instants. Tout semble fait pour créer la confusion chez l’auditeur, des grognements inquiétants, aux chuchotements malsains, de la flûte bancale au drone interrompu par des cuivres obsessionnels, rien ne vous sera épargné dans ce disque clairement expérimental et jusqu’au boutisme. Une démarche passionnante qui s’écoute comme on regarde un tableau abstrait, voire comme une peinture rupestre avec tout ce qu’elle peut contenir d’imagerie primitive. Les infra-basses, les portes qui claquent, les frontières de la hantise schizophrène, rien ne nous soulage dans ce disque à la fois excessif et envoûtant.
En effet, la démarche n’est pas sans poser question aux premières écoutes, notamment lors des passages les plus extrêmes, mais il est nécessaire, pour ne pas dire vital, de savoir que cette musique existe. La seconde face rappelle des formations telles que Nurse With Wound, moins chaotique dans sa structure et proche d’un drone, chargée de signaux électroniques émanant de toute part. Se succèdent alors les parasites, entrelacs de distorsions contrôlées pour finalement replonger de plus belle dans un collage sonore proche d’une matière étrangère qu’il est parfaitement impossible d’identifier.
Une fois de plus, l’on est en droit de s’interroger sur la provenance de tous ces sons oppressants qui bâtissent les substances outrancières d’un disque parfaitement atypique qu’il n’est clairement pas simple d’aborder mais qu’il faut savoir savourer sur sa longueur, comme un plat amer dont on finit par apprécier la divine décadence. Micro-Pénis nous livre donc un disque dérangeant et bousculé, qui ne laisse aucun répit aux oreilles trop chastes. Un disque inassouvi dans un cadre hors exposition et dont le regard que l’on voudra bien lui porter dépendra essentiellement de sa propre capacité à se dépasser.
Schlim est disponible depuis octobre 2016 chez Doubtful Sounds