[dropcap]M[/dropcap]iguel Bonnefoy vient de se voir décerner le prix Patrimoines 2022, qui récompense « un roman de rentrée qui dit le monde tel qu’il va et porte un regard solidaire sur la société ». Si L’inventeur répond parfaitement au cahier des charges, son charme déborde largement de ces limites, ne serait-ce que par son usage de la langue. On connaît Miguel Bonnefoy, on sait à quel point il est attaché à la langue française et aux innombrables possibilités qu’elle offre. L’inventeur en est une preuve de plus : le roman raconte la vie d’Augustin Mouchot, qui, au beau milieu du règne de Napoléon III, parvient à exploiter l’énergie solaire. Modeste fils de serrurier, Mouchot devient professeur de mathématiques – s’il échappe ainsi au destin familial de pauvreté et de tristesse, il n’en devient pas pour autant un « notable » : à l’époque, visiblement, le métier d’enseignant n’est pas beaucoup mieux rémunéré qu’aujourd’hui… Augustin Mouchot naît donc en 1825 dans l’arrière-salle de l’atelier de serrurerie de son père, dans le joli village de Semur-en-Auxois, en Côte d’or.
Mais comme, à cette époque, il était courant qu’un nourrisson meure avant sa première année, comme l’école n’était pas obligatoire et qu’on faisait travailler les enfants dès qu’ils pouvaient marcher, personne ne remarqua véritablement sa naissance et, dès ses premières heures, on le soupçonna d’avoir toujours été là.
Miguel Bonnefoy
On le voit, Augustin naît dans une famille pauvre en argent… et en affection. L’enfance du héros se déroule dans la morosité, voire la tristesse et la solitude. Et pourtant, il se révèle doué pour les études et on l’envoie donc à l’école, puis en pension au collège de Dijon. Son installation en ville ne l’épanouit guère : « À dix-sept ans, il eut l’aube d’une calvitie et des mèches blanches. » Désespérant héros, bachelier en 1845, Augustin enseignera en Bourgogne pendant treize ans, et sa vie ne s’en trouvera guère illuminée. Pour réussir cet exploit, il fallait rien moins que… le soleil. C’est dans la bibliothèque de son nouvel appartement normand, – il est nommé suppléant en mathématiques au lycée d’Alençon – bibliothèque scientifique abandonnée sur place par feu l’ancien locataire, qu’Augustin Mouchot se prend de passion pour l’astre solaire. Après avoir vaincu une maladie terrassante, Mouchot découvre enfin les ouvrages qui vont changer sa vie, et se passionne pour l’énergie solaire. Son appartement devient un lieu d’expérimentations où il se met à fabriquer des machines qu’il déplace en fonction du mouvement du soleil, à grand renfort de miroirs, de disques métalliques et d’outils divers et variés.
Son but : s’inspirer des travaux d’un physicien alpiniste, Horace Bénédict de Saussure, qui parvint à fabriquer ce qu’il appelait la marmite solaire. Les premières expériences sont décevantes, voire désastreuses, et c’est un pur hasard qui redonne à Mouchot l’énergie de persévérer. De multiples cloches de verre qui, judicieusement agencées, permettent d’obtenir un appareil susceptible de faire cuire une marmite, voire une volaille sans le secours de bois, de charbon, d’huile ni de gaz… La solution rêvée pour les combattants qui, sur les champs de bataille, peinaient à se nourrir de repas chauds car il fallait pour cela recourir à des dispositifs qui produisaient de la fumée, et donc les rendaient visibles par l’ennemi. Mouchot dépose son premier brevet en 1861, et baptise son invention du doux nom d’héliopompe. Il travaille d’arrache-pied, et conçoit des machines de plus en plus ambitieuses, que Miguel Bonnefoy décrit tellement bien qu’on les imagine devant nos yeux, telles de fabuleux engins « steampunk » ! Et bientôt, c’est la gloire, ou presque : Mouchot est invité à présenter son invention devant l’Empereur Napoléon III. Même si l’expérience échoue une première fois, l’inventeur persévère, et ira jusqu’à s’installer en Algérie pour y expérimenter de nouvelles machines.
Miguel Bonnefoy n’a pas choisi un héros facile : Augustin Mouchot est d’une tristesse à pleurer, sa vie privée est une catastrophe, ses amis rares et éphémères. Et pourtant, le destin hors du commun de cet homme ordinaire et dépourvu de toutes défenses, dont toute la vie tendra vers un but unique, est une incroyable épopée humaine, dont le héros monte provisoirement très haut, puis redescend, inexorablement, dans l’oubli, la misère et la solitude. Histoire d’une obsession, L’inventeur est aussi une reconstitution haute en couleurs de la France de la fin du XIXe siècle, et du milieu impitoyable des scientifiques de l’époque, où chausse-trappes, trahisons et jeux d’influence parviennent à étouffer tout vif un homme que nos contemporains ont complètement oublié, alors même que son sujet de recherche est d’une actualité brûlante. Miguel Bonnefoy s’empare de cette histoire et de ce personnage et, fort du talent narratif qu’on lui connaît, en fait une fable à la fois cruelle et cocasse, qu’on lit avec gourmandise et sans temps mort, fasciné qu’on est par ce Don Quichotte de la science.
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L’inventeur de Miguel Bonnefoy
Rivages, août 2022
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Image bandeau : Photo par Thomas Bresson, CC BY 2.0 <https://creativecommons.org/licenses/by/2.0>, via Wikimedia Commons