★ L’avis de Gringo Pimento
Publié en 2014, Les filles bleues de l’été de Mikella Nicol se voient offrir une nouvelle chance de séduire les lecteurs français grâce aux éditions du Nouvel Attila. Ce serait dommage de passer à côté de ce court et très beau texte.
Clara et Chloé sont deux jeunes filles, amies depuis toujours, très amies. En souffrance toutes les deux, elles sont autorisées par leurs parents à passer un été dans un lieu très isolé en pleine nature. Seules, en communion avec la nature et en fusion l’une avec l’autre, elles vont vivre, parler, se reconstruire peu à peu. Mais la civilisation et les dangers ne sont jamais loin et quand ils entreront de nouveau en contact avec elles, l’harmonie se fissurera. Quand l’été se terminera, le retour à la ville sera difficile au point d’envisager un nouveau départ dans cette maison du bonheur.
« En octobre, nos corps sont devenus l’automne, la ville.
Les rues s’effritaient au fond de nos bouches. Nous crachions les vapeurs d’essence. Du plomb se déposait sur nos bronches. Nos regards étaient plats comme les stationnements, interminablement longs et gris. Nous regardions nos propres corps adopter cette saison qui nous faisait horreur. Nous avons essayé d’en parler aux autres, mais ils nous ont crues trop sensibles. »
─ Mikella Nicol, Les Filles bleues de l’été
Ce n’est pas pour rien si Mikella Nicol propose en exergue une citation de Virginia Woolf. Ses héroïnes, coincées dans une vie trop étroite, cherchent sans cesse un nouveau départ, une solution salvatrice aux tourments ressentis.
La langue de l’autrice se fait à la fois dure et poétique, souvent très belle comme magnifiée par le destin de ses deux personnages féminins en quête d’absolu : l’amour, la maternité, l’amitié si intense de l’adolescence, de la fin de l’adolescence et ses douleurs.
Mikella Nicol alterne les points de vue de Chloé et Clara dans chacun des chapitres qui composent son livre. L’aide et l’amour qu’elles ressentent l’une pour l’autre se transmet littéralement à travers les mots choisis. L’angoisse, la peur également. Chacune dit les maux de l’autre, comme pour s’en saisir, les guérir, les faire partir tout en oubliant les siens propres.
Les filles bleues de l’été sonne comme un roman de la sororité et de la souffrance adolescente. La tragédie n’est jamais loin, rendue douce pourtant par les images très poétiques de Mikella Nicol.
Les dernières pages trouvent une résolution quasi mystique pour les deux jeunes filles, poussant au loin tout ce qui les entravait. Une fin dont on se souviendra longtemps, tout comme ce roman troublant, beau et sensible.
★ L’avis de PapierCrepon
quelque part au Québec existe un refuge. C’est là que se rendent Chloé et Clara, au sortir d’une hospitalisation pour l’une, d’une rupture amoureuse pour l’autre. Deux jeunes femmes au plus mal, mais décidées à trouver un remède à leurs souffrances. Et elles le savent : la clé de leur guérison se trouve loin de tout. Lorsque le roman s’ouvre, elles sont en route vers un chalet familial isolé et gorgé des souvenirs de l’enfance heureuse.
Le monde va pouvoir s’arrêter le temps d’un été. Clara et Chloé se couleront corps et âmes dans les mouvements de la lune sur l’eau noire du lac. Au contact des pierres et des sapins, seules mais unies, elle vont réanimer le paradis de leurs premières années qu’elles croyaient perdu.
« Les jours s’enchainaient, ils sentaient la lumière. Je n’avais plus peur de mon reflet. J’ai fait face à l’eau avant de plonger. Moi, Chloé, devant ce miroir déformant, avec le bleu infini du ciel derrière moi, comme pour dire qu’il y aurait d’autres jours encore pour être heureuse. Les murs blancs de la clinique me paraissent loin. J’avais mené un combat plus vaste encore que notre lac ».
─ Mikella Nicol, Les Filles bleues de l’été
Bien qu’un peu chétive, l’intrigue parvient à attraper le lecteur d’une main ferme et à le plonger dans une bulle de nature et de calme.
Sauf que cette parenthèse minérale ne saurait durer. Plus dur sera le retour à la réalité, plus marqué sera le contraste avec les chapitres introductifs, paisibles et contemplatifs. Mais les jeunes femmes auront-elles retrouvé suffisamment de forces pour affronter le réel et déjouer les pièges qui ne manqueront pas de se présenter ?
Mikella Nicol construit ses personnages autour de courts chapitres qui passent de l’une à l’autre, alternant les points de vue, jouant sur les « je ». Leurs voix se succèdent mais, loin de scinder le récit, elles s’emmêlent jusqu’à ne plus vraiment se différencier. Il faut dire que leurs douleurs se ressemblent et que leurs rétablissements passent largement par le salut de l’autre. Fusionnant avec la nature mais plus encore entre elles, Clara et Chloé trouveront dans l’autre la béquille, le miroir, le comblement d’un vide immense.
Sororité à toute épreuve, immersion au plus proche de la nature, approche poétique pour endiguer la violence : ce roman peut certainement s’inscrire dans le courant écoféministe, une approche pluridisciplinaire qui rappelle la convergence des luttes contre l’oppression des femmes et l’exploitation de la nature. Une thématique dont la littérature, notamment nord-américaine, s’est emparée avec succès. Aux côtés du désormais classique Dans la Forêt de Jean Hegland (publié en 1996), d’autres autrices se font une place plus discrète mais non moins méritée ; parmi elles, un certain nombre de québécoises, telle que Gabrielle Filteau-Chiba qui a brillamment lancé sa trilogie avec le troublant Encabanée. Des autrices engagées à leur manière, auxquelles il faut désormais associer Mikella Nicol qui fait de l’emprise de la nature une thérapeute sans laquelle – et la suite du roman donnera malheureusement raison à cette hypothèse – les individus risquent de s’asphyxier.
Les filles bleues de l’été, paru au Canada au Cheval d’Août en 2014 et en France au Nouvel Attila en 2022, a remporté le prix Voltaire 2022.