[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″] »J[/mks_dropcap]amais on n’aurait cru qu’une personne affligée d’une telle malformation fût ou pût être joyeuse, qu’elle ne se laissât pas aller à la mélancolie ou qu’elle n’eût pas le goût du malheur. Très tôt, elle s’était trouvé des façons de composer avec sa vie, la vie en général. Et en grandissant, il devint évident qu’elle ne craignait pour ainsi dire rien – seuls les chevaux peut-être, et quelque chose qu’elle ne parvenait pas à définir, une présence insolite qui n’était pas, ou pas entièrement en tout cas, de ce monde.«
Née après deux enfants morts prématurément, non désirée par une mère en proie à des maux que ni le temps ni les hommes désormais ne pourraient apaiser, la petite Jane Chisolm se révèle, à ses premières heures, une force de la nature pour être parvenue à venir au monde sous un tel climat. Mais « si la vie trouve toujours un chemin », il se peut que celui-ci soit tourmenté, accidenté, dès le départ. Ainsi ce bébé, à peine sorti du ventre maternel, se voit affublé d’un dysfonctionnement organique, une malformation singulière qui conditionnera toute son existence.
Pourtant, les premières années de la petite Jane ont le même goût d’insouciance que pour n’importe quel bambin : sa grande sœur Grace s’occupe d’elle (même si contrainte et forcée), les humeurs de sa mère ne peuvent encore l’atteindre, son père lui voue une tendresse profonde même si discrète, et l’univers de leur petite ferme est un enchantement perpétuel. Le Dr Thompson, qui la suit depuis sa naissance en 1915, est une figure rassurante devenue très familière. Il veille sur son handicap physique autant que sur son évolution psychologique, car lorsque Jane commence à prendre conscience de sa différence, c’est plus qu’un simple accompagnement médical qui lui est nécessaire.
Sa malformation est invisible à l’œil nu : elle ne l’empêche certes pas de gambader dans les champs, de patauger dans l’étang, de courir, de jouer à quatre pattes… mais elle la rend incontinente ; et si, dans la nature, elle peut plus facilement gérer cette particularité, l’école en revanche ne lui pardonnera pas ce vice de fabrication, et l’expérience sera de courte durée. Cette mise à l’écart ne lui refusera cependant pas de tomber amoureuse et de s’attacher passionnément au garçon qui lui tendra la main, mais là encore son corps, ne pouvant espérer une étreinte charnelle, lui interdira de poursuivre cette relation. Les livres deviendront alors ses fenêtres sur le monde, sa curiosité son appréhension de ce qui lui est refusé. Jamais elle ne sombrera dans un marasme proche de celui dans lequel sa mère s’enlise continuellement, pas plus qu’elle ne cédera au désespoir. Elle continuera d’avancer dans la vie qui est la sienne, avec une énergie davantage empruntée au soleil du Mississippi qu’à une raisonnable résignation. Le Dr Thompson, son confident et ami, n’aura de cesse de s’émouvoir de sa Miss Jane, plus libre dans son invalidité que bon nombre d’individus « normalement constitués. ». Il ne renoncera cependant jamais à s’enquérir des avancées médicales sur ce type d’infirmité, et, arrivé au seuil de sa vie, il lui proposera même de lui offrir l’intervention désormais possible.
« – Si tu acceptais au moins de me laisser faire cela pour toi, j’aurais l’impression d’avoir quelqu’un en ce bas monde pour qui je suis davantage qu’un gentil étranger.
– Vous n’avez jamais été un étranger pour moi. »
Quelle puissante leçon d’humilité que ce roman à la langue intuitive, où le verbe palpite sous l’affranchissement multiple que tente, à leur rythme, chacun des personnages de Miss Jane ! Car si le récit a tout du roman de formation, il témoigne aussi, avec pudeur, d’une histoire plus collective, celle de la Grande Dépression, qui, à la manière du handicap de Jane, réduit des destins à leurs seules ombres sur le chemin. Et c’est là que Brad Watson, inspiré par l’histoire de sa grande-tante, réussit à dépasser son sujet autobiographique tout en transcendant le rythme d’une fresque à la Steinbeck, pour raconter avec poésie et simplicité un microcosme rural malmené par les décisions d’un monde bien vaste, en s’en remettant à la lueur d’une jeune fille rompue au pas de côté pour rattraper ceux qui marchent droit.
Impossible de ne pas penser à Faulkner, Carson McCullers, ou encore Robert Penn Warren, tant le style de Brad Watson, avec sa voix propre, fourmille d’échos aux accents des grands monstres littéraires du Sud des Etats-Unis. Ce qui confère à Miss Jane l’aura des grands classiques, sans leur démesure. Brad Watson est sans conteste un écrivain, mais il se découvre avec plus d’élégance encore à travers le conteur minutieux qu’il devient entre les lignes, aussi soucieux du sort de ses personnages que des hasards de sa plume.
Bonjour
J’ai beaucoup aimé Miss Jane . La destinée de cette jeune femme n’est pas le seul intérêt du récit. Le personnage du docteur Thompson illumine cette histoire. En filigrane ,nous sont livrés les relations avec les gens dits de couleur . Son père lui ouvre le chemin de la tolérance et du partage. La nature est superbement décrite. En tout cas Brad Watson est parti d’une terrible malformation pour écrire son roman et j’ai compris qu’il s’est inspiré de la vie de sa grd tante. Ce ne pouvait pas être une histoire sortie de nulle part…c’est mon impression.