[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]ous allez sans doute me demander qui se cache derrière cette paire de lunettes hypertrophiées, ce sourire masqué, à rendre folle de jalousie une Agnes Obel qui se serait brulée la peau avec de l’acide nitrique fumant. Sur le Curriculum Vitae, pas grand-chose à se mettre sous la dent. La jeune femme n’a pas encore 30 ans, néo-zélandaise qui en 2014 se lançait dans le bain avec un premier album Listen To Formation, Look For The Signs. Dix-huit mois plus tard, l’artiste revient avec Preservation et une signature sur le discret label Basin Rock.
De Nadia Reid, je ne connaissais rien avant de sonder mes contacts de réseau social sur leurs coups de cœur du moment. Je découvris alors Te Aro et cette voix qui capte instantanément l’ouïe. Sans doute le summum du disque. L’atmosphère y est orageuse même si la trame s’imprègne d’une douce quiétude.
Progressivement, les alentours se tendent et se chargent en électricité. Viennent alors quelques grondements tandis qu’une interprétation à demi a capella vient saupoudrer le ciel assombri d’un instant précieux. Éclairs soudains qui plongent l’auditeur dans une texture étrange, quasi fantomatique… sur des tintements inquiétants malgré, au premier plan, une infime impression de douceur.
Il me fallait alors découvrir le reste de l’œuvre. Reprendre l’ordre des choses avec Preservation et ses réverbérations acoustiques. La confirmation d’avoir face à moi un timbre érectile, une voix accompagnée par une musique en sourdine qui confère le relief nécessaire aux ondes diffusées. Il y a des arpèges déchirants qui traversent une fraicheur mélancolique que l’on retrouvera en filigrane sur plus de la moitié des chansons. Comme une eau qui ruisselle tranquillement, laissant venir à mon esprit une litanie de chanteuses folk (et non des moindres.)
Vous allez sans doute penser que nous n’avons ici qu’une énième ode, bercée par un chant rempli de miel et dont la vocation serait de surajouter aux listes des bandes destinées à tracer une route, le vent dans les cheveux avec une vision époustouflante des grands espaces. Disons que cette idée de peinture pleine de cohérence, vacille quelque peu dans des asymétries parfois déstabilisantes. On peut d’ailleurs scinder les compositions en deux catégories. Entre des ballades plus ou moins traditionnelles et quelques expansions plus tranchantes. Deux facettes qui, le plus souvent, alternent sans souci de transitions travaillées.
Au-delà de ce léger écueil structurel, c’est tout de même la consolation d’écouter le blues de Richard et sa rythmique remarquablement hachurée. Ma consœur Camille Locatelli en faisait d’ailleurs notre son du jour, le 23 Février dernier (elle-même qui évoquait dans une brève de platine le premier opus). Une sorte de voyage sur quelques itinéraires bis ouvrant un nouveau ressenti, un panel riche dans une mouvance « country ». Facile alors de fermer les yeux et de quitter l’hémisphère nord pour un trip austral.
Qui aura alors la sensation de découvrir Mazzy Star sous euphorisant (I Become To You) sur des versants plus classiques, la félicité de l’absorption simple de cordes vocales donnant écho à une guitare sèche dont nous entendons les claquements sur le manche, preuve de matière brute et sincère ? L’élévation est discrète et touche au sensible sans glisser sur la sensiblerie (Hanson St, Pt.2).
Les plus gourmands pourront prendre leurs pieds avec Right On Time, calibré pour la bande FM. Parenthèse efficace avec une grosse valeur ajoutée sur les harmonies, les balancements et toujours ce grain clair, parfait conducteur d’émotions tièdes (ce qui dans ma bouche n’est vraiment pas une acception péjorative).
Bref, Preservation se laisse savourer avec des contrastes parfois saisissants. Au bout de 40 minutes, le seul désir est d’appuyer à nouveau sur la touche lecture.
Clin d’œil amical au dénicheur Daniel Yeang.