[dropcap]C[/dropcap]her Nick,
La dernière fois que je t’ai vu sur scène, tu étais au bord du précipice, prêt à bondir, la force animale qui t’habitait était palpable, ressentie jusqu’aux derniers rangs de l’esplanade. A la fenêtre du château transformé pour l’occasion en loges se trouvait ton compatriote australien Brendan Perry, attentif et je le devine admiratif à la vision de cette silhouette toute de noir vêtue qui paraissait ce soir là indestructible.
Lui, l’acteur d’une mort qui peut danser…
La Mort ?
Saloperie de faucheuse !
J’ai toujours eu du mal avec les condoléances. Être trop dans la mécanique compatissante qui écorche plus la plaie qu’elle ne soulage le cœur. Les mots qui paraissent forcément futiles à la lueur de cette fichue douleur que l’on masque pour ne pas sombrer. Nous pouvons tous imaginer le chagrin d’autrui, le mal qui ronge l’être désemparé mais au bout du compte l’empathie est un processus qui emprunte des chemins scabreux.
Alors voilà, après la stupéfaction à l’annonce du drame qui te touchait j’ai songé instinctivement à la suite. Imaginer les maux couchés sur la partition, ta réputation de chanteur ténébreux amplifiée par une réalité funeste.
La couverture de Skeleton Tree est sobrement noire avec juste quelques lettres d’un vert cliniquement informatique. Une froideur saisissante qui épaissit d’emblée un ressenti déjà austère.
La sirène agonise avant de se noyer dans cet univers insensible. L’auditeur peut rejoindre l’auteur que tu es vers les abysses amers de Jesus Alone et son drone orchestral d’une beauté aussi rude que le son de la craie sur le tableau. Ton appel sans réponse est un déchirement infini :
« (…) With my voice
I’m calling you (…) »
Tomber du ciel et se relever avec peine au travers de cet enregistrement dérivatif où se déverse une tentative d’antidote contre l’irréversibilité de nos destins. La seconde piste de ton nouvel album semble plus apaisée (du moins concernant la mélodie). Pour autant, la suite trahit logiquement un malaise d’une mise à nu exempte de tout exhibitionnisme racoleur.
Les notes de Girl In Amber sont larmoyantes et me font décrocher un frémissement oculaire humide face à ces confidences de l’âme aussi bouleversantes que magnifiquement mises en musique et en métaphores. Une pudeur voilée par une fragilité humaine qui contraste avec ton habituelle stature inflexible. Une déclinaison en huit titres qui transpirent de sentiments les plus intenses. Tes ballades pigmentées d’obscurité ne sont désormais plus fiction.
Alors tu vois Nick, tu as beau traîner depuis un paquet d’années avec des mauvaises graines, il y a un truc qui a germé de ce disque exutoire. Je me suis dit que le malheur peut nous toucher sans prévenir et qu’il faut alors chérir l’instant présent lorsqu’il nous berce de sa quiétude. L’hommage que tu rends à ton fils disparu résonne encore et encore après les écoutes répétées que j’ai pu faire de cette thérapie artistique.
Je pourrais parler longuement du raffinement et de l’originalité des arrangements venant mettre en relief l’orfèvrerie de l’ensemble (ce qui me permet au passage souligner le travail remarquable de ton compère Warren Ellis à tes côtés) de la précision interlinéaire de tes mots, de l’imprégnation de l’espace sur le frôlement des touches du piano, de tes psalmodies aussi abruptes qu’irradiantes.
Il en restera quoi au final ?
Un instant suspendu entre plusieurs royaumes… La colère, l’incompréhension, le besoin d’expulser la souffrance.
La fin de l’opus est à mon sens encore bien plus révélatrice de cet état de délivrance nécessaire. Le processus de deuil diront certains experts. Comment ne pas succomber au chant d’I Need You ? J’avoue ne pas me remettre des accords glacés sur lesquels tes inspirations résonnent comme un véritable crève-cœur et dont la dimension mystique révèle le plus troublant des désarrois.
(…) Cause nothing really matters
We follow the line of the palms of our hands
You’re standing in the supermarket, nothing, holding hands
In your red dress, falling, falling in, falling in
A long black car is waiting ’round
I will miss you when you’re gone
I’ll miss you when you’re gone away forever
Cause nothing really matters
I thought I knew better, so much better
And I need you
I need you (…)
Te dire que la suite inscrite dans les balancements de Distant Sky est une chose que je n’avais pas entendue depuis des lustres. La participation de la soprano danoise Else Torp incarne alors le moment de grâce ultime. Il y a cette sensation de toucher à la divine appréhension derrière cette voix d’ange qui poétise le pendant négatif de l’ouverture.
Reste à achever ton propos dans les limbes de la pièce qui donnera son nom à l’œuvre. J’y perçois des accents que l’on retrouve chez Bruce Springsteen, du moins lorsque ce dernier s’empare de sa tessiture vocale moins rocailleuse.
Il m’est désormais difficile de conclure, d’exprimer la réalité de ce que je discerne non pas comme une allégorie lugubre qui serait destinée à mener le fan de longue date dans un déséquilibre des choses lui refilant le bourdon. Non, je perçois plutôt la nécessité de sortir enfin de ta carapace, expulser le superflu et d’élever à nos yeux (cf le documentaire One More Time With Feeling) et nos oreilles une part d’humanité qui ne demande qu’à respirer de nouveau.
Rien que pour m’avoir convié comme d’autres sur ce chemin de vie, un arbre décharné qui ne demande qu’à refleurir, je voulais simplement te dire merci.
Ivlo Dark
post scriptum: Skeleton Tree est disponible dans toutes les bonnes échoppes depuis le 9 Septembre 2016.
Bad Seed Ltd – Facebook – Kobalt Label Services
Bonjour très beau papier. Je me demande cependant s’il ne faudrait pas s’abstenir de tout commentaire concernant une oeuvre qui pour son auteur fait davantage office de catharsis ou de thérapie que de simple projet artistique.
Cordialement.
Oui, ce n’est pas faux Philippe mais au delà des mots et d’une musique il est vrai très personnelle, il y a une délivrance de l’œuvre au public qui s’expose forcément au regard et à l’ouïe de chacun. Sinon, merci beaucoup pour le compliment.