[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#9e4f22″]L[/mks_dropcap]a démarche qui est aujourd’hui la mienne vient trancher avec les dernières écoutes qui auront nourri mon espace auditif en ce début d’année 2018. Je dois vous confesser que ces derniers temps je me suis gavé de musiques rugueuses, sombres et percutantes comme d’autres se jettent avec fougue sur des pots de pâte à tartiner. J’avais sans doute le besoin de changer de cap, de retrouver des sonorités plus apaisées. J’étale donc ici ma quête tendant à retrouver le plaisir d’appréhender les silences aussi intenses que certains vacarmes, vecteurs de longs soupirs qui viennent mourir comme une offrande à notre quiétude. La mienne en tous les cas fut la bienvenue. L’objet tombait à pic car il y a de la pondération exquise dans la musique de Nils Frahm.
C’est par le biais du sympathique Ólafur Arnalds que je découvris le prodige allemand. Au nombre des multiples collaborations, je pouvais extraire cinq projets fabriqués avec l’acolyte islandais. Il y a une évidence dans ce duo, les deux hommes se livrant au public érudit tels des siamois dans leur manière de concevoir des productions autant communes que solitaires (ou avec d’autres compagnons de jeu). Chez les deux artistes je ne peux réfuter cette indéfinissable faculté à soulever la matière pour la rendre trépidante malgré une humeur souvent léthargique dans le propos et bien que fécondée par un amas de subtilités aussi inspirées qu’éclectiques.
Je n’oubliais pas, au passage, la présence d’un remix finement ciselé pour Mogwai. Il ne m’en fallait pas plus pour aiguiser ma curiosité au besoin de six longs formats solo. Je découvris alors l’élève de Nahum Brodski, lui-même initié à la musique par un certain Piotr Ilitch Tchaïkovski. Les premiers travaux trouvaient des influences chez Steve Reich au travers d’une musique expérimentale et minimaliste qui pouvait faire craindre un élan de répulsion pour un genre n’ayant plus besoin de faire ses preuves. C’était sans compter l’autre apport notable au rayon de l’inspiration. Nils Frahm prenait alors à cœur de rendre hommage à l’effort d’imprévision salutaire que l’on retrouve dans le jazz. En cela, il fusionnait l’esprit impulsé par Keith Jarrett avec un traitement modernisé de son propre langage.
Ce name dropping pourrait vous sembler trop flatteur. Il l’est sans aucun doute. Un poids qui ne peut que solliciter la remise de comptes sans aucune incartade. L’auditeur ne donnera pas son quitus si aisément, il lui faut une exécution irréprochable lorsque la barre est levée à ce niveau de références. C’est essentiellement le point qui amène certains fins sachants à analyser la chose comme un ersatz de quelques pièces bien plus majestueuses. Là aussi je veux bien légitimer le subjectif ressenti. Pour autant, il serait regrettable de ne pas accorder un peu plus de temps à l’écoute d’All Melody, nouvel album ultra atmosphérique, façonné dans un studio berlinois flambant neuf.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#9e4f22″]L[/mks_dropcap]’univers entier veut être touché. C’est la traduction d’un désir immense caractérisé d’emblée par de hautes prétentions et des chœurs qui s’élèvent à perte de vue. Sunson offre alors un bourdon aux effets planants. Par couches successives, les pulsations se grisent d’étirements sur lesquels viennent se greffer à merveille une transe progressive ô combien sereine !
Dans ces mouvements au ralenti j’arrive à percevoir, derrière un souffle de spleen, un soupçon d’hypnotisme relayé par un leitmotiv calculé. La magie revêt quelques parures plus épurées sur d’autres titres à l’image de My Friend The Forest dont la sobriété d’un clavier est soutenue par une perception des mécanismes. Les pleurs seront plus marqués avec le saxo déchirant de Human Range que l’on entend s’épancher tout en sourdine. Différents échantillons traversent l’album puis se répandent, rebondissent délicatement pour enclencher un nouveau récit, le plus souvent pour des histoires plus lumineuses. Le downtempo mis en place est d’une tonalité suave.
J’imagine déjà le set programmé pour l’édition de la Route du Rock 2018 (version été) avec les ondulations electronica d’All Melody (le disque comme la piste 7 qui en prend le nom). Surfer sur les vagues successives qui graduellement accélèrent sans jamais friser l’excès de vitesse. Strates après strates c’est un ensemble savamment harmonieux qui parvient à notre ouïe avec un fil conducteur qui s’épaissit à chaque étape à l’aide de palpitations digitales tournoyant infinitum autour d’une imperturbable trame. La jonction se fera sans heurts avec #2 qui pousse le vice en rayant le vinyle tout en empruntant un cheminement logique, celui qui nous mène au point d’orgue magistral. Il est niché ici ce malin petit orgasme, dans cette musique qui se mérite sur son déroulement paraissant sans doute bien trop étiré à une époque où la persévérance n’est plus la règle. Il serait pourtant regrettable de ne pas s’y coller, de se laisser happer par un jeu qui en vaut la chandelle puisque son compositeur nous livre sur un plateau un monde ultra sensoriel.
De manière synthétique, l’exercice est maîtrisé et prend par moment une dimension solennelle. C’est le cas avec la partition de Momentum dont on se demande si les aspects quasi sibyllins ne dépasseraient pas les contours de la musique profane tant la connotation sacrée des textures y est palpable. Il ne s’agit bien évidemment pas d’une évocation religieuse mais, lorsque je jauge l’imprégnation qui ressort des notes insufflées, il m’est impossible de ne pas considérer l’œuvre autrement que par son puisage dans le recueillement intérieur. Cette appropriation est une réalité dont Nils Frahm est le catalyseur, que l’introspection portée soit consciente ou non. Les racines de l’ambient sont alors pulvérisées dans une fausse impression d’immobilité. Il sera possible d’ergoter sur quelques longueurs. Un rognage sur des plages redondantes aurait certainement permis de resserrer le défilé des minutes et secondes tout en injectant une lecture optimum de la chose. Il n’en demeure pas moins que le multi-instrumentiste derrière ses boutons a réussi à sortir de son esprit et de ses doigts une bien belle récompense pour celles et ceux qui sauront s’y perdre avec délectation.
Album disponible depuis le 26 Janvier 2018.