[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]T[/mks_dropcap]out juste récompensé par le prix de Flore, le troisième roman de Nina Yargekov publié chez P.O.L s’est, discrètement mais sûrement, fait une place auprès des titres marquants de cette rentrée littéraire.
© Guénaël Boutouillet
L’histoire commence dans un aéroport. Une jeune femme est frappée d’amnésie et reprend ses esprits dans le hall, sans savoir d’où elle vient. Vient-elle de sortir d’un avion ? Allait-elle embarquer ? Pour aller où ? Avec qui ? Comme le ferait tout un chacun dans cette situation, elle examine son sac à main pour en savoir plus sur elle-même. Elle y trouve deux porte-monnaies, deux téléphones portables, deux trousseaux de clés et deux passeports. Le premier est français, l’autre est yazige. Afin de ne pas rester là, errante, au milieu du hall, elle décide de faire connaissance avec elle-même en se rendant aux toilettes. Le reflet qu’elle voit dans le miroir est surprenant : elle porte un diadème scintillant sur la tête, une jupe trop transparente et un maquillage beaucoup trop vulgaire.
S’ensuit une auto-enquête et une série d’auto-perquisitions, qui lui permettent non sans mal d’en apprendre plus sur elle, sa vie, ses parents.
Au-delà de ce début truculent et haut en couleurs, ce roman est un incroyable tour de force qui permet d’aborder et de questionner sur le thème de l’identité. Pas celle indiquée sur nos papiers d’identité, qui elle ne permet pas de doute, mais celle qu’on ressent dans son cœur et au fond de ses entrailles. Celle qui nous détermine en tant qu’être humain. Celle dont on sent proche et dont on est fier.
© Rebekka Deubner pour Les Inrockuptibles
Notre personnage principal, Rkvaa, en a même deux. Deux cultures, deux langues, deux Histoires qui s’imbriquent, s’entrechoquent, se tournent le dos. Et elle, frappée d’amnésie, avec si peu de cartes en main, tente de trouver qui elle est. Et ce qu’elle veut devenir.
J’ai été très agréablement surprise par ce roman qui est bourré d’inventions, d’humour, de délicatesse. Les références pleuvent sans jamais nous noyer (de l’image de Britney Spears sans cheveux à la guerre d’Algérie, en passant par la problématique des clochards parisiens et une admiration sans faille pour l’ensemble du répertoire d’Enrico Macias). Je me suis immédiatement attachée à Rkvaa, qui passe d’un état euphorique – en effet, n’aimeriez-vous pas revenir à zéro et avoir tout à découvrir ? – à celui plus déroutant et grave de celle qui ne sait plus où aller ni quoi faire. D’autant plus qu’elle vit mal sa condition de traductrice esseulée, avec pour seule compagnie un basilic en pot et une peluche de la petite taupe achetée sur internet.
C’est aussi un roman très malin et qui a, assurément, demandé beaucoup de travail à Nina Yargekov. Le travail sur la langue est exaltant et stupéfiant. En effet, à l’image de ces Livres dont vous êtes le héros, tout est écrit à la deuxième personne du pluriel.
Face au retournement qui se profile vous freinez des quatre fers, vous en avez assez de changer sans cesse d’avis sur vous-même, à chaque fois il faut vous réagencer, vous ré-acclimater, c’est éreintant à la fin, vous n’aviez pas encore cicatrisé de la blessure de ne pas être une immigrée que vous vous transformiez en traductrice psychopathe avant de devenir une délinquante sans crime et maintenant vous êtes de nouveau yazige mais pas immigrée sauf que vous n’êtes plus si certaine, et en attendant, vous n’avez ni le temps de vous réconcilier avec vos pieds ni celui de vous chercher un mari. Cependant c’est comme les nœuds sur les ficelles, plus on tire dessus et plus on les resserre, et déjà vous êtes partie, et déjà vous redevenez Française.
Double nationalité est assurément une pépite scintillante parmi les 560 romans de cette rentrée, que je vous conseille chaudement. Et pour ceux qui pourraient être échaudés par ce pavé de 684 pages – qui pourrait retenir un léger rictus de peur ? – ne vous inquiétez pas, vous êtes un lecteur qui allez vivre un moment délicieux, plein de malice et d’ingéniosité, et vous ne pourrez en sortir que largement enrichi.
Feuilleter le livre sur le site des éditions POL :
Nina Yargekov, parlant de son roman :
Olivia de Lamberterie, conseillant énergiquement Double Nationalité le 27 septembre :
Site des éditions P.O.L – Twitter