[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]O[/mks_dropcap]iseaux-Tempête publie son troisième album Al-‘An!, un mot arabe qui signifie « Maintenant ». Et c’est bien dans une fascinante expérience auditive dans l’ici et maintenant qu’il nous plonge, dans un présent dilaté par effet de flottement.
Oiseaux-Tempête est mené depuis sa création par Frédéric D. Oberland et Stéphane Pigneul. Ils sont allés enregistrer Al-‘An! lors de plusieurs séjours au Liban, au cours de sessions improvisées avec de multiples invités, impulsées par le guitariste Charbel Haber et le percussionniste Sharif Sehnaoui. Ces sessions ont eu lieu au studio Tunefork et dans un appartement non loin du port de Beyrouth, avec Ali El Hout et Abed Kobeissy, Pascal Semerdjian et la oudiste Youmna Saba. Ces enregistrements ont été complétés par des sessions en Bretagne et à Paris avec le batteur Sylvain Joasson (Mendelson), Mondkopf, le saxophoniste Stéphane Rives et les voix de Tamer Abu Ghazaleh et de G.W. Sok.
L’éclatement des formes et la diffraction des structures sont à l’œuvre dans un langage qui paraît complexe. Le tout se déploie cependant dans un flux naturel amenant à un étrange envoûtement : grondements de basse, guitares acoustiques, guitares électriques aux notes étirées, vibrations de cordes de oud, percussions orientales, voix et ambiances enregistrées au Liban, oscillations électroniques menaçantes… Frédéric D. Oberland et Stéphane Pigneul sont arrivés à Beyrouth avec l’intention de « Tenter l’incandescence, à l’unisson ou dans les contrastes, se mettre en danger, tendre des ponts sans exotisme ou sans orientalisme policé, entre noise, rock, free jazz, musiques traditionnelles et onirisme poétique avec des artistes dont les albums et les travaux nous semblaient résonner avec le nôtre, voilà ce qui nous tenait à coeur lorsque nous sommes arrivés plein de candeur là-bas ».
La tentative est plus que probante et on ne peut ici en retranscrire toutes les richesses. Le premier titre « Notes from the Mediterranean Sea » sonne comme un générique d’ouverture aux sax et glissandi de cordes. Il annonce des développements à la fois épiques et empreints de gravité. « Bab Sharqi » est porté par un psychédélisme oriental. « Our Mind is a Sponge; Our Heart is a Stream » étend des sonorités de oud et de petites percussions dessinées dans un espace acoustique aérée et glisse vers la mélopée chantée « I Don’t Know What Or Why (Mish Aaref Eish w Leish) ». « Carnaval » marie une rythmique de batterie lancinante à une oscillation électronique signée Mondkopf, doué pour les sonorités sombres et déterminés. « Through The Speech Of Stars », l’avant dernier titre de Al-‘An!, s’étend sur plus d’un quart d’heure en une vaste fresque en plusieurs mouvements. Après une lente montée dans la tension soulignée en son apogée par une sonorité d’orgue et des field recording, l’apaisement s’installe en même temps que la voix de G.W. Sok, poésie posée et prenante. L’album se referme sur « A l’aube », épilogue bâti sur un drone et une pulsation rythmique très lente.
Oiseaux-Tempête place au cœur de son projet la volonté de conjurer par des rencontres sensibles et créatives les dislocations historiques et politiques actuelles. La ville multiculturelle de Beyrouth est marquée par des années de guerre civile et accueille de nombreux réfugiés syriens et palestiniens. C’est en ce lieu que Al-‘An! a pris forme, un album parfois sombre qui s’apprécie surtout pour son immense profondeur onirique.