[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]ar où commencer ? Comment faire pour introduire ce qui sera probablement un des albums de l’année ?
Comment essayer d’être un tant soit peu objectif quand un disque vire à l’obsession, que vous l’avez écouté au bas mot une bonne cinquantaine de fois avant d’entamer la chronique et qu’il vous remue tripes et boyaux à chaque nouvelle écoute ?
Ben… à vrai dire, vous vous en foutez. Vous dites simplement ce qu’il en est, en essayant de conserver une certaine mesure même si vous savez que ça vous sera difficile. Vous parlerez des quelques défauts du disque pour pondérer un peu votre enthousiasme et paraître mesuré et crédible, mais au fond de vous, vous le savez, la claque reçue est telle, les sommets si élevés, que toute retenue vous fera l’effet d’un effort quasi surhumain lors de l’écriture de la chronique en question.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]ous la débuterez en présentant brièvement l’artiste, à peu près en ces termes : Ned Collette, Australien émigré à Berlin est l’auteur, entre 2006 et 2014, de cinq albums, tous édités dans un anonymat certain. Enfin presque tous. Curieusement, en 2012, 2, son pre-mier album avec les Wirewalker, a rencontré un certain écho dans nos contrées. Écho qui, soit dit en passant, lui aura juste permis d’apparaître sur la carte des artistes à suivre. Pour le reste, l’anonymat et lui semblent liés par une indéfectible amitié.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]N[/mks_dropcap]éanmoins, il est des amitiés dont on se dispenserait bien et celle de Ned Collette avec l’anonymat est en passe de voler en éclats avec la sortie de Old Chestnut.
Pour quelles raisons ? Une principalement : parce qu’on ne sort pas un tel album sans rencontrer un certain succès public. Bien sûr, il y a des contre-exemples un peu partout, Nick Drake ou John Martyn n’ont jamais eu le succès qu’ils auraient mérité de leur vivant. Mais bon, nous en sommes en 2018 et, depuis près de vingt ans, internet a quelque peu changé la donne.
Alors évidemment, ça ne se vendra pas par camions entiers, Old Chestnut ne s’adresse pas vraiment au grand public, mais il y a fort à parier que l’audience de l’Australien va considérablement s’élargir avec ce disque.
Parce qu’il témoigne d’une ambition rare en créant une œuvre à part, complète, étrange, ne cherchant pas à gommer ses imperfections. L’étrangeté commence dès les premières secondes pendant lesquelles on assiste à la mise en place des musiciens façon concert classique, où pendant près de deux minutes, chacun se cherche, s’accorde jusqu’à trouver le bon tempo, laisser la mélodie venir.
Et à partir de ce moment, Old Chestnut vous embarque dans un voyage assez remarquable. Un voyage où on retrouve des têtes connues, vivantes ou non, des moments d’onirisme superbes, des intermèdes étranges, dissonants, expérimentaux, des chansons tutoyant le sublime, d’autres aux confins de la folie.
70 minutes sidérantes où la voix de Ned Collette évoquera tour à tour Leonard Cohen (Grant’s Farm), Syd Barrett (Sacred Cats, Snaky Song), pendant lesquelles l’auditeur ira de surprise en surprise, et ce en lien avec des arrangements étonnants (Snaky Song), des intermèdes assez inattendus (la fin de Thanks Richard), des transitions fabuleuses (celle entre Sacred Cats et The Optimist est une des plus belles que j’ai pu écouter cette année, évoquant celle entre A Last Straw et Little Red sur Rock Bottom).
70 minutes où Ned Collette déploie toute la palette de son talent qui, avouons-le, paraît immense sur ce disque.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]éritable touche-à-tout, épaulé par ses fidèles Wirewalker (Joe Talia et Ben Bourke), Collette excelle autant dans la ballade acoustique poignante (The Optimist retrouve la grâce d’un Mark Kozelek période Red House Painters), que dans le long morceau, soit psychotique flirtant avec le psyché (le très Floydien, dans sa première partie, Sacred Cats, dérivant tout d’un coup vers un ailleurs bien plus lumineux), soit côtoyant la beauté d’un Mark Hollis (notamment sur l’impressionnant June, bénéficiant du toucher tout en finesse de Chris Abrahams de The Necks). Idem pour les instrumentaux, desquels exaltent la sérénité (l’orientalisant Shinobazu), la mélancolie (le magnifique dialogue guitare/piano de Sunday), ou encore l’étrangeté, l’onirisme (No Wonder).
Cependant, et pour paraître un tant soit peu nuancé, il y a quelques défauts (mineurs) dans cet album, notamment la partie expérimentale : quand il se frotte au drone (Wakanui et ce solo de guitare un peu difficile à avaler) ou à l’expérimental (le bruitiste/déconstruit Stateless Brave reprenant dans sa seconde partie No Wonder) sur tout un morceau, l’Australien peine à convaincre. Mais l’agencement est si intelligemment pensé (le mélange folk/psyché saupoudré d’expérimental passe particulièrement bien tout au long de l’album), les arrangements si surprenants et pertinents (l’usage du Moog et du violoncelle lui confèrent une touche intemporelle) qu’il permet d’en minimiser les défauts.
Et puis parlons également de la cohérence du disque : Old Chestnut commence avec un morceau à la fois expérimental, arrangé, folk et indolent et se termine sur un folk court et nonchalant. Entre les deux, le canevas reste le même (le folk revisité à toutes les sauces) mais c’est à la fois beau, accessible (Grant’s Farm, Thanks Richard), exigeant et barré (les justement Barrettiens Carriage Six, Sacred Cats dans son introduction ou Animal Swoon) ; un trip dans l’esprit d’un homme autant dérangé que lucide nous emmenant dans les sombres recoins de sa folie (Carriage Six) comme dans les endroits les plus sains et lumineux de son esprit.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]B[/mks_dropcap]ref, à y regarder de plus près, Old Chestnut, comme souvent dans les grands albums ou les grands romans, parvient pendant plus d’une heure à distordre l’instant présent, à imposer une réalité différente, celle de son auteur, en la faisant vôtre.
Dans son style, le folk donc, les disques parvenus à un tel résultat se comptent sur les doigts d’une main (on citera, pas tout à fait au hasard dirons-nous, les deux albums solos de Syd Barrett, conciliant folie et beauté). On pourra donc y ajouter ce coup de maître de Ned Collette, probable sommet de 2018 (avec le Double Negative de Low, mais cela fera l’objet d’une autre chronique) et croiser les doigts pour que son booking (Sleeping In&Out) puisse le faire de nouveau fouler les terres françaises en compagnie, on l’espère, de Chris Abrahams.
En attendant, ruez-vous sur Old Chestnut, laissez-vous happer par cet album magnifique et régulièrement bouleversant et usez le jusqu’à la corde en attendant un hypothétique retour de l’Australien chez nous.
Hé, c’est drôlement beau, ça! Merci pour la découverte!
Merci de parler de Ned Colette!!
J’ai particulièrement adoré son album networking in putgatory,
Il reste mon préféré à ce jour.
Chic type, chic musique !!
Merci!