[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#569bdb »]O[/mks_dropcap]livier Martinelli est un romancier pas comme les autres. Il aime les chroniques, les textes courts, son style est volontairement épuré.
En 2015, lors d’une interview, il me confiait : Si une correctrice me signale qu’à tel endroit, il faut un imparfait du subjonctif, je préfère réécrire tout le paragraphe.
Ses textes sont inspirés par sa propre vie et par son histoire familiale : on se rappelle le formidable La Nuit Ne Dure Pas, paru aux défuntes éditions 13e note, qui suivait pas à pas le parcours d’un jeune groupe de rock, Kid Bombardos, à travers leur quotidien, leurs espoirs, leurs colères.
Puis Quelqu’un à Tuer, formidable roman noir inspiré par la guerre d’Espagne et paru à la Manufacture de Livres en 2015 (voir chronique ici).
Aujourd’hui, L’Homme de Miel plonge plus encore qu’auparavant dans la vie intime d’Olivier Martinelli.
Quoi de plus intime qu’un cancer ? En 2014, Olivier Martinelli apprend qu’il est atteint d’un myélome, une saloperie qui lui grignote les os, à lui, le sportif, le fan de football, l’homme de famille… Ponctions, biopsies, IRM, opérations : tel est le voyage auquel il nous convie dans cet Homme de Miel, journal d’un voyage au bout de la vie, journal au bout duquel il y a, heureusement, la vie triomphante…
Mon cancer s’écrit myélome et je ne peux m’empêcher de penser « miel-homme ». Il me paraît plus doux, du coup, moins agressif. Grâce à lui, je me sens comme un héros Marvel. Je suis l’Homme de miel.
Dès la quatrième de couverture, on comprend qu’Olivier Martinelli n’est pas homme à infliger à son lecteur un texte tout entier tourné vers le pathos, la souffrance, la tragédie de la maladie. La forme qu’il a adoptée est aussi révélatrice du caractère de l’homme et son admiration pour John Fante.
Son myélome, Olivier Martinelli a choisi de le raconter sous la forme de chroniques, ou de très courtes nouvelles. Il se souvient : une grande fatigue, une visite de routine chez le médecin. Et puis la courbe dentelée d’un graphique, le soupçon. Analyses, scanner. Très vite, le médecin de famille laisse sa place au spécialiste en hématologie. Ça n’est pas bon signe, en général. Puis, enfin, la révélation en forme de condamnation. Le myélome, espérance de vie, cinq ans. Et tout à coup, un homme qui se rend compte de tout ce qui lui reste à accomplir : les romans à écrire, les enfants à élever et à aimer…
De retour de chez l’hématologue, Olivier Martinelli pense à tout cela, à toute vitesse, alors que sa fille, à l’arrière, lui demande s’ils iront à la plage l’après-midi et chante à tue-tête sur les chansons de Bigott, le Johnny Cash castillan, comme dit France Inter. Choc des mondes, les presque morts et les tout à fait vivants.
À la fin de cette première nouvelle, on a compris :
(…) les yeux de ma fille ne disaient qu’une chose.. Une seule chose : Souviens-toi que tu vas mourir, d’accord.. Oui, Mais pas tout de suite.
Sur 140 pages et 49 chroniques, Olivier Martinelli va nous entraîner avec lui dans un voyage dont il pense ne pas revenir, mais qu’il entreprend avec une combativité et une révolte toniques et poétiques.
Martinelli est un homme de compétition, sportif dans l’âme. Il est aussi un homme de raison, prof de maths de son état.
Et son parcours va voir ces deux hommes-là, le sportif et l’homme de raison, se tendre la main, s’unir contre l’ennemi, s’accrocher à l’écriture salvatrice, rencontrer des artistes complices, dévorer d’amour ses enfants, sa famille et ses amis.
Observer, de son œil malicieux, les petites choses de la vie qu’on ne peut voir que lorsque cette vie-là ne tient plus qu’à un fil : les parfums de l’enfance, le soleil qui caresse le bras à travers les stores, le réconfort de la chaleur, la maladresse parfois touchante des autres, les chauffeurs d’ambulance – en particulier celui qui, à chaque trajet, lui raconte l’histoire de ceux qu’il a transportés et qui sont morts…
Mon ambulance est pleine de morts. Un jour, on va se faire arrêter. On est trop nombreux dans la voiture.
Voilà, Olivier Martinelli est là, souriant, disert. Et après avoir lu cet Homme de Miel, on mesure la chance que l’on a, nous, lecteurs, de le voir là, peut-être le plus vivant d’entre nous.
L’homme de miel d’Olivier Martinelli
paru chez Christophe Lucquin éditeur – Août 2017