[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#FBAD15″]L'[/mks_dropcap]écrivain Philippe Rahmy nous quittait le 1er octobre 2017. Un mois avant était publié son livre Monarques où il se dévoilait déjà beaucoup en s’apparentant à Herschel Grynszpan, juif allemand d’origine polonaise dont l’assassinat d’Ernst Von Rath à l’ambassade allemande le 7 novembre 1938 fut le prétexte du déclenchement de la Nuit de Cristal. Il nous parlait aussi de ce « papillon diurne des plus communs », et nous n’imaginions pas à quel point la fragilité d’un papillon pouvait faire écho à celle de cet auteur brillant. En cette rentrée, les éditions de La Table ronde publie Pardon pour l’Amérique, livre posthume où l’écrivain se dévoile d’autant plus, sa disparition que l’on a en mémoire amplifiant l’émotion suscitée par la lecture.
Philippe Rahmy s’est installé à Naples, ville de Floride du sud, au moment de l’avènement de Donald Trump à la présidence des États unis d’Amérique. Il souhaitait y rencontrer des ex-détenus étant passés par le couloir de la mort. Depuis Béton Armé, Philippe Rahmy n’avait cessé de confronter son propre enfermement dans sa maladie avec celle d’autres personnes à travers le monde et l’histoire. La confrontation avec l’Amérique va être plus forte encore. Comme si ce territoire était incontournable. Ses paysages sont peuplés d’êtres humains tentant vainement d’y (sur)vivre libre. L’écriture est à la fois puissante et désarmée face aux destins des personnes que rencontrent ou imaginent l’auteur. C’est un roman éclaté en plusieurs voix, se déchirant pour dire l’enfermement et la liberté.
Le livre est habité par les paysages de Floride et de ces êtres qui y dérivent. Ces détenus, ex-détenus, ces soldats brisés, ces ouvriers agricoles, ces exilés… tous forment un peuple oublié dont l’écrivain n’occulte pas l’importance ni s’empare de leur misère pour faire œuvre. Il parle de ce peuple en se remettant en question constamment, sur son statut d’écrivain, ce qu’il fait, ce qu’il écrit. L’objectif du livre en devient insaisissable. Son écriture et sa lecture deviennent alors importants parce qu’ils questionnent sans cesse.
Pardon pour l’Amérique est un livre essentiel. Il n’a pas besoin de concourir à la grande compétition de la rentrée littéraire et ses prix. Il est juste nécessaire de le lire pour en saisir ce qu’un homme avait à nous dire sur l’Amérique. Mais ce n’est pas seulement de cette Amérique malade que Philippe Rahmy nous parle. Il parle de lui indéniablement, mais aussi de l’écriture, de la liberté et de ce que nous en faisons. Le langage de Philippe Rahmy était sa solidité et ce dernier geste littéraire en dévoile sa partie la plus poignante.
Pardon pour l’Amérique de Philippe Rahmy
éditions de la Table ronde, août 2018