Nous sommes en 1971, Paul McCartney a 28 ans. Un an plus tôt il sortait une épure, McCartney, enregistré quasiment seul à l’abri des regards et composé d’ébauches, de titres instrumentaux. Un repli sur soi et un artisanat qui contrastera fortement avec ce que nous avait habitué un certain Abbey Road. De la mélancolie feutrée qui se dégage de ce premier essai resteront Junk et surtout Maybe I’m Amazed, déclaration d’amour fiévreuse à sa femme Linda et morceau le plus élaboré du disque.
[mks_col]
[mks_one_half]
[/mks_one_half]
[mks_one_half]
[/mks_one_half]
[/mks_col]
Cette manière de se regénérer, de tout remettre à plat (qu’il reproduira plus tard avec les Wings) est ancrée solidement dans le terreau de la vie de famille qu’il ne quittera plus. Sa femme Linda, sa fille, Heather et la dernière née Mary seront du voyage aux Etats Unis pour l’enregistrement du prochain album.
Il souhaite cette fois-ci s’épauler d’autres musiciens : Denny Seiwell sera recruté à la batterie, David Spinoza (qui ne se fera pas au style Macca et sera remplacé illico par Hugh McCracken) à la guitare. Les scéances s’effectuent à New york, le rythme de travail devenu légendaire du future Sir est effréné : la petite famille tout entière débarque le matin en studio pour n’en ressortir que le soir. C’est dans cette ambiance que l’album RAM voit le jour.
L’artwork donne le ton : collages photos, dessins enfantins aux couleurs chaudes et lumineuses réalisés par Paul lui même. Tout ayant déjà été dit, on ne s’épanchera pas sur la petite photo montrant deux scarabées partageant leur bonheur mais on s’attardera sur les initiales L.I.L.Y (Linda I love You). L’amour, la famille, la terre. Loin d’être une carte postale béate et niaise du cliché sur la joie de vivre, RAM va s’avérer être la définition de la musique Pop selon McCartney.
L’album commence par un accord de guitare, plaqué, lourd, presque solennel. La voix surgit d’une brume de reverb’ et d’écho comme un appel puis se radoucit, les riffs de guitares restent en suspension puis Two Many People éclate tel un coup de gueule. Le spectacle peut commencer. Les guitares sont à l’honneur, les solos tranchants, la basse sautillante et toujours fidèle au poste, la voix de Linda se joint à la sienne pour ce règlement de compte car s’en est clairement un. Jusqu’au pont (ces ponts fabuleux dont McCartney est un maître incontestable) qui vient calmer le jeu avec cette voix de falsetto si caractéristique.
Cette mise au point faite, les esprits s’apaisent, changement de décor : 3 Legs, ce titre commence tel un blues façon western, basse guitare et un talent unique pour nous imposer une ambiance, un lieu. Et encore un pont magnifique où les voix trafiquées se répondent dans un semblant de comédie musicale.
Ram On fait figure d’interlude, Ram On comme Paul Ramon son pseudo de jeunesse, un titre mélancolique aussi court qu’il est superbe et qui laisse sa place au chef d’œuvre de ce disque : Dear Boy.
La construction, les harmonies vocales la rythmique, les mélodies sont ce que McCartney a fait de mieux. Des comédies musicales à Brian Wilson et les Beach Boys, ses influences sont mises en reliefs et totalement assumées et digérées. Dear Boy est une perle cachée dans la discographie du Mac. A la voix et au piano qui débutent le titre vont se greffer l’un après l’autre une rythmique (des doigts qui tapotent un tambourin), une seconde voix en canon, puis une guitare, puis d’autres voix qui s’entremêlent, se répondent et s’unissent jusqu’au bouquet final en apothéose.
Uncle Albert/Admiral Halsey l’un de ces titres medley dont il a le secret démarre de la manière la plus mièvre qui soit et c’est voulu. Il faut entendre les gna gna des choeurs juste avant le passage épique du côté de chez l’amiral Halsey. A renfort de bruitages sonores et, avec le soutien de l’Orchestre philharmonique de New york se développe un superbe conte qui se clôture en symphonie pop dont les dernières notes dégringolent jusqu’au décompte de Paul car changement de décor. On passe au Rock n’Roll à la Elvis à base de choubidou wap avec Smile Away et on tire le rideau pour l’entr’acte.
Au deuxième acte, on retrouve notre ami gentleman farmer nous vanter les mérites de la vie à la campagne dans Heart Of The Country, encore un titre limpide. La facilité avec laquelle il nous transporte aussi facilement est fascinante, peut être peut on chercher du côté de cette voix multi-registre, un transformisme vocal qui atteint d’ailleurs son paroxysme avec Monkberry moon Delight. Un morceau destroy-pop, sans conteste le plus déjanté du disque, un défouloir vocal auquel même sa fille Heather participe. Le rajout de voix en fin de titre ajoute encore à la folie festive de cette hallucination musicale.
Eat At home et ses paroles ambigues est un rock léger et festif, Long haired Lady sublime une nouvelle fois avec cette fusion d’orfèvre entre deux titres son amour total pour Linda qu’ils reprennent en choeur jusqu’au passage de la reprise de Ram On, fil conducteur troubadour nous rappelant son désir passionné de suivre désormais sa propre voie et sa propre muse. The Back Seat Of my Car, sublime d’orchestration, parait plus sérieuse, posée et réfléchie mais les jeux de voix singeant des instruments de musiques viennent relativiser cette impression et le morceau de finir presque en cacophonie générale.
S’abriter de la tension orageuse qui sévit du coté de Londres, des turpitudes juridiques qui finissent de réduire en cendres ces amitiés qui ont pourtant permis de bâtir une œuvre en l’espace de 10 ans et à un âge où la plupart ne savent pas encore quoi faire de leur vie. RAM est un mélange de génie, de naîveté et de fragilité. Poussé dans ses derniers retranchement Paul Mccartney se montre avec une sincérité et une honnêteté qu’il ne retrouvera plus ou qu’il frôlera avec Band on The Run.
Tout recommencer. Descendre de son piédestal, chausser ses bottes et partir avec femmes et enfant dans une vieille ferme délabrée.Tout reconstruire, se retrouver tel qu’on est réellement, un homme, un mari, un père et retrouver peu à peu le bonheur d’une vie faite de simplicité.
Pour l’anecdote :
Les cessions de RAM seront si productives que beaucoup de titres apparaîtront sur Red Rose Speedway avec les Wings 2 ans plus tard tel que Big Barn Bed que l’on entend à la fin de la reprise de Ram On.
Paul Mccartney enregistrera également à la même période une version instrumentale de RAM sous le pseudo de Percy « Thrills » Thrillington.
C.O
Oh mon bon John, je l’attendais celle-là, je suis pas déçu. Grand est ce disque, grande est ta prose. Recommence.
En 71, il a 36 ans et non 28 😉
Né en 42, il avait bien 28 ans début 71. D’ailleurs il fête ses 73 aujourd’hui’ 🙂