… et courir après Alice et le lapin blanc. Benoît Coquil publie chez Rivages l’histoire de ce champignon que le couple Wasson, de New York, va s’échiner à faire connaître au monde entier, ces Petites choses, le psilocybe. Mais comment Gordon Wasson, ce respectable banquier de Wall Street, fils de pasteur, et sa non moins respectable épouse Tina, pédiatre d’origine russe, en sont-ils arrivés à consacrer tout leur argent et leur temps libre à ce champignon ?
L’aventure commence en 1927. Un soir, les deux époux ont un différend au sujet des champignons. Monsieur ne les aime pas, madame en raffole. Serait-ce une différence culturelle ? Les Américains mycophobes versus les Russes mycophages ? Intrigués, ils vont creuser le sillon qui, de fil en aiguille, les mènera au Mexique et au psilocybe et fera d’eux les premiers ethnomycologues de l’histoire. Mais n’anticipons pas.
Les Wasson débarquent dans la région d’Oaxaca, dans la jungle mazatèque, en 1953. Ils ont lu quelque part que ces ethnies indigènes consomment le psilocybe lors de cérémonies religieuses et divinatoires. Alors à Huautla, petit village perdu dans la montagne, ils font la connaissance de María Sabina, une femme guérisseuse et chamane. C’est elle qui les « initie » au champignon magique. Pour son malheur…
Car les Wasson, convaincus des pouvoirs des Petites choses, emballés, déjà « accros », ne vont pas garder le secret longtemps. Grâce à ses relations dans la banque, Gordon finance ses recherches, échange avec des laboratoires en Europe, en Suisse, là où, en 1948, les laboratoires Sandoz ont breveté la molécule du LSD. Tout un champ de recherches qui intéresse aussi l’armée américaine.
Bientôt les années 60 sont là. Toute une jeunesse occidentale va s’adonner aux voyages intérieurs et aux visions que procurent les substances psychotropes. C’en est fini de la tranquillité à Huautla, c’en est fini de l’innocence.
« Au mois de mai 1957, donc, des millions d’Américains, feuilletant leur nouveau numéro de Life ou de This week, apprennent au même moment l’existence du dernier psychotrope naturel encore inconnu de l’Occident… Stupeur dans les cuisines aménagées, sous les casque chauffants des salons de coiffure, surprise à plat ventre sur les plages de la côte Ouest ou dans un coin de cantine à Berkeley ou Harvard. »
─ Benoît Coquil, Petites Choses
Biographie romancée des découvreurs du champignon magique, que María Sabina appelle ses «Petites choses », le livre de Benoît Coquil se lit comme une chronique douce-amère. Dans un style mêlant sérieux et ironie, l’auteur évoque la rencontre mortifère entre la culture indigène, ancrée dans les mondes naturel et surnaturel, et la culture scientifique de l’occident, dont les époux Wasson seront les représentants équivoques toute leur vie.
Benoît Coquil enseigne la littérature et la civilisation d’Amérique Latine et ce n’est pas anodin. Son livre est amplement documenté, les faits sont vérifiés ou, s’ils ne le sont pas, l’auteur prend la précaution d’écrire au conditionnel. En plusieurs courts chapitres, l’auteur plonge le lecteur dans les méandres ténébreux de l’hallucination, et s’autorise des incursions vers le LSD. Ce ne sont pas les chapitres les mieux réussis, on perçoit une fascination facile pour le « trip » et la contreculture hippie, l’aspect récréatif déjà largement documenté par la littérature, de Baudelaire et son haschich aux écrivains de la Beat Generation. Malgré cette réticence, je recommande ce livre à tous ceux qui auraient envie d’en savoir plus sur María Sabina et le psilocybe. María Sabina est morte en 1985, à l’âge de 91 ans, dans son village d’origine, Huautla. Petites choses de Benoît Coquil est dans la première sélection des romans français du Prix Femina 2023 !