[dropcap]D[/dropcap]ans le précédent épisode – le 12e – des enquêtes de Bernie Gunther signé Philip Kerr, Bleu de Prusse, nous avions quitté notre héros préféré en 1939, à Berchtesgaden, là où il avait pris tous les risques pour venir à bout d’une affaire particulièrement tordue.
Avec L’Offrande grecque, nous le retrouvons à Munich en 1957. Sa situation n’est pas vraiment enviable : il n’a rien trouvé de mieux qu’un poste de gardien à la morgue de l’hôpital, sous le nom de Christof Ganz. Vous connaissez Bernie Gunther : il a beau avoir appartenu à la Kripo et au service de renseignement de la SS, il n’a jamais adhéré aux idées ni aux méthodes de ses employeurs. N’empêche : par les temps qui courent, il ne fait pas bon vivre avec un passé aussi chargé que celui de Bernie.
Aussi, lorsqu’une vieille connaissance lui propose un emploi d’inspecteur dans la plus grosse compagnie d’assurances du pays, salaire confortable et voiture de fonction à la clé, il ne lui faut pas longtemps pour se laisser convaincre. Il n’a aucune expérience dans l’assurance, mais son passé de flic va lui servir de passeport pour la normalité. C’est du moins ce qu’il croit. Avec Bernie Gunther, pas un moment de répit…
Sa première mission n’a rien de banal. Il s’agit de se rendre en Grèce pour enquêter sur l’incendie et le naufrage suspects du Doris, un bateau appartenant à un ancien de la Wehrmacht, qui devait servir à effectuer des fouilles archéologiques sous-marines en vue de réaliser un documentaire. Le contrat d’assurance est juteux, autant dire que la compagnie verrait d’un bon œil que Christof Ganz trouve LA faille. Il va faire mieux, beaucoup mieux.
[mks_pullquote align= »left » width= »300″ size= »16″ bg_color= »#993300″ txt_color= »#ffffff »] »Philip Kerr n’a pas son pareil pour associer enquête échevelée et retour en profondeur sur les épisodes les plus tragiques du siècle dernier, mêlant avec virtuosité personnages réels et créations issues de son imagination. »[/mks_pullquote]
Bernie Gunther ne serait pas ce qu’il est si, derrière cette vulgaire affaire de fraude à l’assurance, il ne débusquait une histoire beaucoup plus grave, beaucoup plus ancienne et beaucoup plus sulfureuse, laissant derrière lui un certain nombre de cadavres. Une histoire qui, comme par hasard, va le conduire sur la piste d’un trésor juif réputé disparu au fond de la mer, et surtout de l’abominable Alois Brunner, ex-commandant du camp de Drancy, responsable de près de 120 000 déportations de juifs, et notamment de toute la communauté juive de Salonique – pas moins de 46 000 personnes – exterminée dans les camps d’Auschwitz-Birkenau et de Treblinka.
Philip Kerr n’a pas son pareil pour associer enquête échevelée et retour en profondeur sur les épisodes les plus tragiques du siècle dernier, mêlant avec virtuosité personnages réels et créations issues de son imagination. Il est aussi un des rares auteurs de romans dits policiers à donner vie à un personnage récurrent sans sombrer dans la répétition et la facilité qu’offre l’utilisation d’un héros connu et apprécié par des millions de lecteurs.
Avec L’Offrande grecque, il nous confronte avec un enquêteur vieillissant – dans ce roman, Bernie a quand même 61 ans –, esseulé, exilé à Munich alors qu’il ne rêve que de rentrer à Berlin, et qui parvient, un temps, à oublier son âge auprès de sa compagne d’aventure, la très sinueuse, ravissante et maligne Elli…
Ce qui donne à Philip Kerr l’occasion de déployer son légendaire sens de l’ironie en se lançant dans des descriptions anatomiques dignes des Fleuve noir des années 60, qu’on prendra, bien sûr, au deuxième degré. L’humour cynique et cru de Bernie Gunther, sa vision du monde, sa manie de s’abriter derrière une attitude bravache et finalement attendrissante, continuent à faire merveille.
Le sens du rythme très particulier de Philip Kerr lui permet de nous entraîner derrière lui à Athènes, au Pirée, dans les petits ports des environs avec leurs maisons blanches éblouissantes, le long de routes étroites et ensoleillées, sans oublier de nous décrire au passage l’état de ce pays déjà abandonné et ruiné au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, le tout en compagnie d’un flic grec aussi inefficace qu’encombrant…
Une réussite incontestable, qui nous fait regretter amèrement la disparition prématurée de Philip Kerr, mort en 2018 à l’âge de 62 ans. Seule consolation : il nous reste à découvrir un roman de la saga, Metropolis, qui nous ramènera auprès de Bernie Gunther en 1928.
Une mise en garde : si vous découvrez Philip Kerr avec L’offrande grecque, vous courez un risque majeur : celui d’avoir envie de lire les douze autres romans de la série. C’est tout le mal que je vous souhaite.
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L’Offrande grecque de Philip Kerr
traduit par Jean Esch – publié aux éditions du Seuil – novembre 2019
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