[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]C[/mks_dropcap]’est à l’occasion d’une exposition-rétrospective Jim Jarmusch organisée dans un cinéma bruxellois (Cinéma Galeries, jusqu’au 12 février 2017) que le journaliste et critique de cinéma Philippe Azoury publie ce petit livre passionnant, qui examine film après film l’œuvre de Jarmusch, sous l’angle du temps, du rythme, de la cadence. Une évidence quand on y réfléchit bien : de tous les cinéastes d’aujourd’hui, Jim Jarmusch est sans doute celui qui se démarque le plus de ses contemporains par sa perception et son rendu du mouvement, de l’histoire, du paysage. Jarmusch a une approche musicale du cinéma – il n’est un mystère pour personne qu’il est passionné par la musique, et qu’il la pratique lui-même. Cadence, tempo, construction, tonalité : autant de termes musicaux qui conviennent parfaitement à sa filmographie.
L’auteur passe ainsi en revue la carrière de Jarmusch, de son « film d’école » Permanent Vacation à son dernier opus sorti en France en décembre, le somptueux Paterson, en passant par ses documentaires musicaux – de Neil Young à Iggy Pop. Livre de « fan » certes, mais de fan éclairé : cet ouvrage est à la fois une promenade à travers une œuvre aussi singulière que passionnante, et une recherche, non pas du temps perdu, mais de celui qui s’écoule, une recherche sur comment il s’écoule, au cinéma et dans le réel. Il met en évidence les éléments filmiques qui appuient son approche du cinéma de Jarmusch, et tout à coup, on fait appel à sa propre mémoire et évidemment on se demande comment on n’y a pas pensé plus tôt…
Tel est le mérite de ce livre : exprimer avec finesse et poésie ce sentiment intuitif qui nous traverse tous – enfin, tous ceux qui aiment Jim Jarmusch – après avoir vu un de ses films. Et contrairement à ce qu’on pense généralement, l’analyse ne nuit pas à la magie, bien au contraire. Apprendre à regarder, à voir ce qui est réellement à l’œuvre dans un plan de cinéma, voilà qui est important, et ce n’est pas pour rien que Jarmusch a dédié son dernier film à Jean Eustache, qui savait mieux que personne « regarder » un film, fût-il un des siens. Ce n’est pas pour rien non plus que Jarmusch voue un culte durable à Yasujiro Ozu et à Nicholas Ray : « La leçon de silence de Yasujiro Ozu. La leçon d’indépendance de Nicholas Ray. » Écoutons donc cette leçon-là : sachons regarder les films, ne nous contentons plus de les voir…
Ce livre d’apparence modeste, qu’on met négligemment dans sa poche pour pouvoir le garder sous la main, a au moins un double mérite: celui d’éveiller en nous le souvenir des films qu’on a aimés, et celui de donner envie de les revoir tous. Ça n’est pas rien.
Philippe Azoury collabore avec les Cahiers du cinéma, et a également travaillé pour Libération, Les Inrockuptibles et Vogue. Il travaille pour Obsession, le supplément culturel de L’Obs. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages d’entretiens et de monographies, notamment sur Werner Schroeter, Philippe Garrel et a participé à de nombreux ouvrages collectifs (notamment le Dictionnaire Eustache).
Philippe Azoury, Jim Jarmusch, une autre allure, Capricci éditions.