[dropcap]D[/dropcap]isparu en 2009, Pierre Bourgeade fait partie de ces auteurs dont je me dis depuis des dizaines d’années qu’il faut le lire, sans jamais trouver le bon moment (la belle excuse !).
La réédition de Warum était donc l’occasion parfaite pour, enfin faire la connaissance d’un romancier d’exception, et initier ainsi une longue exploration de son œuvre aussi riche que variée : romans, théâtre, poésie, essais, photographies, son œuvre comporte sans doute autant de facettes que sa personnalité…
La préface de la nouvelle édition de Warum, signée par ceux qui ont été ses éditeurs depuis 1998 – Sylvie Martigny et Jean-Hubert Gailliot, des éditions Tristram – et qui le connaissaient depuis 1984, nous conforte dans l’idée que ce roman-là est sans doute une bonne porte d’entrée pour notre exploration : publié pour la première fois en 1993 par Jean-Jacques Pauvert sous le titre La Nature du Roman, ce livre est le fruit d’un long travail évolutif.
Pierre Bourgeade confiera à ses nouveaux éditeurs que depuis cette première publication, il n’avait pas cessé d’en poursuivre l’écriture. Le nouveau titre, Warum, est sans doute moins explicite que le premier, qui décrivait de façon certes très directe mais aussi très incomplète la teneur de ce travail de construction, de mémoire et, pour ainsi dire d’archéologie.
Warum, tel est le surnom de l’étudiante allemande qui prépare une thèse sur l’évolution du roman – quel hasard ! – que le narrateur s’apprête à rejoindre pour quelques jours à Hanovre avant de retrouver à Stockholm Eva, sa vieille amie suédoise qu’il n’a pas vue depuis presque vingt ans.
Voilà donc notre narrateur embarqué pour un périple en voiture et en ferry, direction l’Europe du Nord. Trois jours au bord d’un lac proche de Hanovre, auprès de Warum, amoureuse passive « aux yeux graves et gris« , « aux épaules hautes et dures« . Au moment de partir, le narrateur est triste, Warum apparemment indifférente.
La nature du roman, c’est la séparation. La nature du roman, c’est l’absence.
La nature du roman, l’obsession de l’auteur, voilà bien ce qu’on va essayer d’identifier avec lui, en suivant les différents récits subtilement liés qui vont constituer Warum. La nature du roman, la trouve-t-on aussi dans les retrouvailles ? Car, il y a dans ce roman autant de retrouvailles que de ruptures, retrouvailles et relations de longue date, évoluant dans leur nature, jamais exemptes de sensualité, empruntes d’un double souci esthétique et libertin.
Nous partons au Nord de l’Europe puis nous nous dirigeons vers le Vermont, où la confidente américaine, Harriet Hemmery, habite une petite maison de bois lorsqu’elle ne part pas pour l’Afrique, où elle donne libre cours à son amour pour les hommes. « Je reste chaste six mois, puis mille hommes. » Tel est son mode de vie…
Avec le narrateur, l’intrépide Harriet partage quelques jours à San Juan de Porto Rico, où il lui arrive d’habiter en compagnie d’une call-girl de ses amies, Rima, qu’on retrouvera quelques pages plus loin, des pages qui expliqueront les tragiques circonstances qui ont amené cette fille d’immigrés italiens à se retrouver call-girl.
Pierre Bourgeade nous promène ainsi, de Paris à Buenos Aires puis à New York, Nairobi, Rome. De personnage en personnage, de Harriet la femme de l’Afrique à Paolo le pizzaiolo et Lucienne la libertine.
Au passage, il fait l’amour à une femme qui lit, à la serveuse d’un motel au bord de l’autoroute du Nord, se trouve trop vieux, s’indigne que la serveuse lui demande de l’argent, mais le lui donne quand même.
Harriet, Rima, Paolo, Warum, Lucienne, Eva : tous ces personnages vont se jouer du romancier, jusqu’à ce qu’à son tour il joue avec son lecteur. On imagine alors l’auteur confronté à ces récits épars, décidant de leur ordonnancement et de leurs enchaînements, déterminant les occurrences de ses personnages, explorant les ressorts des vies dont il nous raconte des moments longs ou furtifs, réglant son propre rôle de narrateur, observateur, acteur.
Pierre Bourgeade raconte, à sa manière tour à tour nonchalante ou cynique, mélancolique, violemment érotique, et le lecteur se laisse entraîner derrière lui dans une vertigineuse spirale où le texte prend toute sa puissance et son pouvoir étourdissant, où l’écriture à la fois virtuose et provocatrice donne tout son sens au mot « littérature ».
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Warum de Pierre Bourgeade
Paru le 2 janvier 2020 – Éditions Tristram
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Photo à la une : Maschsee Hannover/WilkoFinke/Pixabay