[dropcap]L[/dropcap]e Thaïlandais Pitchaya Sudbanthad, globe trotter vivant entre New York et Bangkok, élevé en Arabie Saoudite et aux Etats-Unis, nous offre un premier roman étonnant à plus d’un titre. Il n’a pas choisi la facilité : rendre un hommage vertigineux à une ville-monde, à son histoire et à sa culture, en s’affranchissant des contraintes de temps et des narrations linéaires. D’emblée, on comprend que les lieux vont être les clés des développements du roman. Dans une interview à Libération, l’auteur le confirme en expliquant que le premier lieu qui lui a inspiré une des histoires qui composent le livre est un restaurant thaïlandais installé au Japon. De ce lieu vont naître deux des personnages du roman : la restauratrice thaïe venue se réfugier au Japon après les émeutes étudiantes de 1976, sauvagement réprimées par les autorités, et sa sœur, restée à Bangkok, ex-infirmière devenue employée d’une société d’immobilier chargée de gérer un autre lieu clé du roman : un bâtiment entièrement modernisé, résidence de luxe de Bangkok érigée sur les lieux d’une ancienne maison de famille historique. Ces deux femmes vont permettre à l’auteur de se plonger dans une partie de l’histoire contemporaine de sa ville, mais aussi d’explorer leur relation à la fois distante et douloureuse ; elles vont incarner l’écartèlement entre celle qui est restée et celle qui a fui.
Lorsqu’il était enfant, son père lui avait raconté qu’il avait visité ces montagnes avec son propre père afin de se rendre compte de la façon dont étaient abattus les troncs qu’on flottait ensuite jusqu’aux aciéries en aval, pour finir par aller alimenter la voracité de Bangkok. Une partie du bois dans la vieille demeure de la capitale venait de ces montagnes. Dans l’aile la plus ancienne – devenue au fil du temps la salle du Bouddha et le salon de musique -, une sève sombre et gluante coulait encore d’un ancien pilier.Pitchaya Sudbanthad
Cette maison de famille, c’est celle où vit encore la mère de Sammy, venu s’installer à Londres avec sa famille quand il était petit. Aujourd’hui, il est photographe et vit à Los Angeles, tandis que son père habite toujours à Londres avec sa nouvelle épouse, Helen. La mère thaïlandaise de Sammy, Pehn, est retournée à Bangkok ou plutôt à Krungthep, le nom que les Thaïs donnent à leur capitale, dans la maison de famille qu’elle s’apprête à vendre. Nous sommes au milieu des années 70, Sammy est rentré précipitamment à Londres pour se rendre au chevet de son père souffrant, qu’il trouve fragile mais bien remis de sa récente crise. Sammy lui annonce la vente imminente de la vieille maison, redoutant sa réaction. Son père accueille la nouvelle avec une certaine indifférence. Depuis toujours, il a la tête ailleurs… Cet immeuble de luxe, cette vieille maison disparue vont permettre à l’auteur de continuer son voyage dans le temps, d’évoquer les émeutes de 76, et l’évolution de sa ville sous la pression du tourisme triomphant.
C’est ainsi qu’avance le livre, que se croisent les destins de plusieurs personnages d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Pitchaya Sudbanthad décrit une ville de plus en plus souvent inondée, particulièrement exposée aux ravages exercés par le réchauffement climatique, se rappelle les missionnaires du XIXe siècle venus, pleins de bonne volonté mais dépourvus de toute culture sur le pays, essayer de soigner et de soulager les miséreux. Tel un chef d’orchestre au talent singulier, il dirige de main de maître une symphonie tout en nuances, en couches successives, en chemins tortueux ; il se promène, et nous promène de la fin du XIXe aux années 2050, qu’il imagine marquées par les possibilités offertes par le virtuel et l’intelligence artificielle, mêlant ainsi de façon aussi visionnaire que poétique les fantômes chers à la tradition thaï et les fantasmes les plus fous et les plus effrayants que nous suggère la technologie. Il réussit ainsi le tour de force de brosser de sa ville natale un portrait chatoyant, aussi nostalgique qu’halluciné, tout en surprenant son lecteur à chaque page.
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Bangkok Déluge de Pitchaya Sudbanthad
traduit par Bernard Turle
Rivages, août 2021
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