[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#AAC2CE »]A[/mks_dropcap] la fois inconnu au bataillon pour une grande partie du public et duo relativement culte pour ceux qui s’intéressent à cette étrange entité musicale qu’est l’IDM, Plaid revient cette année nous offrir son nouvel album, Polymer.
Faisant partie des têtes d’affiche du label Warp, une icône dans le domaine de la musique électronique expérimentale, leur nouvelle sortie succède l’excellent The Digging Remedy. En 2016, celui-ci avait su conquérir le cœur de la petite niche de personnes appréciant leur travail, mais n’avait recueilli que peu d’intérêt de la part du grand public.
Aussi, effectuer une critique de leur travail est un exercice complexe. Car si un artiste réussit à susciter à la fois l’adoration et l’indifférence générale, il est nécessaire d’expliquer sur quels critères on peut trouver l’album digne d’être écouté, et même pourquoi il peut être absolument génial, alors que la grande majorité pourrait n’y trouver aucun intérêt. Cela tient, selon nous, aux spécificités du genre musical auquel Plaid est rattaché, l’IDM, qui devrait piquer votre curiosité, du fait de sa richesse infinie et de son influence certaine sur la musique électronique en général.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#AAC2CE »]E[/mks_dropcap]xpliquons donc. Le siècle précédant a vu naître un grand nombre de nouveaux instruments et de supports pour la musique, l’un d’eux étant l’ordinateur. Sorte d’instrument originel, duquel il est possible de sortir littéralement n’importe quel son imaginable, son usage s’est révélé particulièrement efficace pour produire des sons basses fréquences, ayant beaucoup plus d’impact que n’importe quel instrument traditionnel. Content de cela, des artistes se sont donc engouffrés dans cette brèche pour créer l’EDM, l’electronic dance music, un genre se limitant un peu trop souvent à l’exploitation de l’efficacité de l’ordinateur dans la création de ces sons au mépris du potentiel quasi-infini de leur instrument. Dans l’optique donc de mener l’utilisation de ce medium au-delà du « boum-boum », certes très efficace mais un peu limité, certains artistes se sont mis à expérimenter, à chercher de nouvelles sonorités inédites. Parmi eux, on en a regroupé un certain nombre, utilisant les codes de l’EDM, mais ne s’y limitant pas, et ainsi on a défini ce qui est pompeusement appelé IDM, intelligent dance music.
On comprend donc pourquoi ce genre est assez peu écouté : il s’agit d’une très vaste expérimentation d’artistes cherchant à créer une musique totalement différente de ce qui a pu se faire auparavant, à partir de 0 et de 1 (mais aussi souvent en y incluant d’autres instruments). Souvent donc, lorsque l’on écoute de l’IDM, on se retrouve face à une œuvre dont l’inaudibilité vous ferait passer pour un psychopathe si l’album avait le malheur de se trouver sur votre auto-radio lors d’un covoiturage. Ce, soit parce que le but de l’album est d’évoquer une ambiance peu commune à ce que fait habituellement la musique, soit parce qu’il s’agit des tribulations d’un artiste cherchant à pousser à fond les instruments qu’il a créés pour arriver à quelques rares moments de grâce, obtenus au prix d’une vrille des tympans et de plusieurs crises d’épilepsie.
Plaid est du premier type de musiciens électroniques, et est à ce titre une très bonne porte d’entrée dans ce type de musique (la preuve étant que je n’en suis jamais ressorti). Disposant de sonorités bien particulières, très reconnaissables, l’esthétique de leur travail est très clairement une de leur principale préoccupation, et l’expérimentation ne se fait que dans ce cadre, ne sortant que très rarement du domaine de l’audible.
Passé maître dans l’art d’évoquer des ambiances et des émotions aussi diverses que variées, Plaid s’est illustré dans le monde de l’IDM par des morceaux ayant l’aspect d’expérimentations abouties et efficaces, dont les sonorités un peu dérangeantes pour l’oreille finissent toujours par trouver un sens, et s’avèrent être un véritable atout mélodique ou rythmique. Ces capacités s’étaient notamment illustrées dans la composition de la bande originale du film d’animation Amère Béton, soulignant et appuyant parfaitement l’histoire très particulière de l’œuvre, entre ambiance enfantine et environnement cruel. Ainsi, en entrant dans Plaid, il faut comprendre que l’on a pour but de diriger son attention vers une ambiance originale, nouvelle, et que l’on aura affaire à un panel très large d’émotions. Le but ne sera pas d’avoir une mélodie et un rythme entraînant, le but ne sera pas d’appuyer très fort sur une seule émotion, le duo vous offre en quelque sorte la BO du film que vous visionnez dans votre tête en écoutant leur musique.
A ce titre, Plaid peut tomber dans deux écueils : celui d’être trop peu accessible, ce qui jusqu’ici n’est jamais arrivé, ou celui d’être trop plan-plan, trop convenu et pas assez évocateur, comme c’était le cas de leur album Spokes, et, avouons-le, un peu le cas de The Digging Remedy. Aussi, quelle ne fut pas ma surprise lorsque sortirent enfin les deux premiers morceaux du nouvel album. Le premier, Maru, est très bon. On y retrouvait justement tout ce qui faisait de Plaid un très bon duo : une bonne dose de sonorités étranges, légèrement oppressives, accompagnées d’un rythme assez calme, le tout sublimé par une mélodie que seul Plaid est capable de produire. Le second, Recall, était bien plus étrange. S’il n’avait pas duré que trois minutes, on aurait juré qu’il était sorti tout droit d’un album de Autechre, l’un de ces fameux expérimentateurs chevronnés dont les albums d’une heure et demi sont considérés comme des EPs. Très froid, très brut, son aspect techno-noise dénué de mélodie laissait présager un album assez monolithique, très peu propice à la rêverie à laquelle les albums de Plaid permettent habituellement de s’adonner.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#AAC2CE »]M[/mks_dropcap]ais au final, il n’en est rien. Cet album est justement la cohabitation réussie de ces deux aspects. A la fois très beau et très froid, voir même parfois un peu inquiétant, à l’image de son introduction, il vous berce, les balancements oscillant entre son coté très vivant et son aspect plus minéral, plus froid, plus violent, souvent au sein même d’un seul morceau. En s’appuyant sur ses moments très technos, comme Meds Fade ou Recall, qui finalement ressemblent plus à ce qu’avait pu faire Clark sur Turning Dragon qu’à du Autechre à proprement parler, Plaid enchaîne des titres très lumineux, construisant leur beauté sur cette froideur. Maniant avec parcimonie ses sons « gimmicks », à savoir des sonorités semblables à celles de boite à musique et d’instruments acoustiques assez divers, Plaid réussit avec brio la construction de morceaux nuancés et touchants qui ne tombent jamais dans la redite ou le convenu. Leur introduction, souvent froide et peu attrayante, surprend par la façon dont elle est amenée à devenir le pilier d’une mélodie que l’on écoute et réécoute, allongé, à rêvasser. L’une des plus grandes réussites illustrant cette démarche est le morceau Ops, commençant avec des voix semblant soupirer, posées sur un beat extrêmement lent et très puissant, qui s’ouvre peu à peu à un développement, à base de petits beats nerveux intercalés entre les coups de massue du début et de synthés auxquels viennent s’ajouter les fameux sons gimmicks. Le tout finissant dans une explosion mémorable, de celles qui donnent toujours des frissons à la troisième écoute consécutive, et vous fait appréhender à la première écoute le fait qu’il y ait une fin à l’album.
Mais les fans de compositions plus classiques et appréciables dès les premiers instants ne seront pas non plus en reste, car Polymer est aussi le support d’excellents morceaux très purement Plaid dans l’esthétique. Le dernier single rendu publique, Dancers, en est un parfait exemple, aux cotés de Praze. S’ouvrant sur deux des sonorités les plus iconiques du groupe, il met en scène une incroyable montée en puissance d’une simple petite mélodie répétée en boucle, d’un beat assez convenu et inoffensif, et de quelques notes de synthé posées délicatement sur celui-ci. S’ensuit un voyage digne des meilleurs titres de Plaid, White’s Dream, Nafovanny et Gel Lab en tête, sublimé par une production incroyablement propre, gérant d’une main de maître la spatialisation et le mixage des sons.
Si l’on devait noter quelques points négatifs, on soulignerait quelques titres qui ne resteront pas forcément dans les annales, comme All To Get Her, ou Recall, mais en aucun cas il ne s’agit de morceaux réellement mauvais, qui vous feraient décrocher de l’album.
Donc, vous l’aurez compris, Polymer est de mon point de vue une réussite, et il n’y a aucun doute que si vous connaissez et aimez Plaid, vous appréciiez Polymer autant que moi. Toutefois, si l’artiste vous est inconnu et que vous cherchez à le découvrir, ce n’est pas un album par lequel je conseillerais de commencer. Mieux vaut entamer l’aventure avec The Digging Remedy ou Rest Proof Clockwork, qui sont tous deux beaucoup plus directs dans ce qu’ils offrent, et qui expérimentent moins. Et si vous appréciez l’expérience, nul doute que vous saurez apprécier la très prochaine sortie de Plaid, Polymer.