[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e verdict du Prix Libr’à Nous 2017 approche ! Le 3 mars, nous connaîtrons les noms de tous les lauréats… En attendant, quelques gagnants des années précédentes ont bien voulu faire appel à leur mémoire et nous raconter leurs souvenirs – forcément bons ! Aujourd’hui, c’est Jean-Paul Gratias, traducteur, qui répond à nos questions. Merci à lui.
Vous avez été lauréat du Prix Libr’à Nous en tant que traducteur, pouvez-vous nous rappeler pour quel livre, la maison d’édition, dans quel catégorie et en quelle année ?
C’était pour Rouge ou Mort, de David Peace (éditions Rivages), prix du roman étranger en 2015.
Pouvez-vous nous raconter un souvenir lié à ce Prix ?
Quand on m’a annoncé que ce prix, décerné alors pour la première fois, récompensait David Peace, j’en ai été ravi pour l’auteur, que j’ai averti aussitôt. David Peace vit au Japon. Le jour de la remise du prix, je l’ai donc représenté pour recevoir le trophée (que les Éditions Rivages se sont chargées de lui expédier à Tokyo) et je suis reparti avec deux bouteilles de vin blanc remises en mains propres par Sébastien Wespiser. J’ai conservé ces deux bouteilles dans ma cave, et elles en sont ressorties lorsque David Peace est passé à Paris. Il est venu dîner chez moi avec sa compagne japonaise. Nous avons bu ensemble la première bouteille, et il est reparti au Japon avec la seconde !
Comment avez-vous accueilli l’annonce de la création de ce Prix ?
J’y ai vu une excellente initiative, intéressante et significative, et non pas comme le lancement d’un prix littéraire de plus.
Comment situez-vous ce Prix dans le contexte des autres prix littéraires ?
Pour moi, c’est celui qui a la plus grande valeur, car la carrière d’un livre dépend beaucoup de la façon dont les libraires le reçoivent. Leur enthousiasme peut faire le succès d’un livre dont les critiques littéraires n’ont rien dit ou n’ont pas eu envie de parler. Ici, pas d’influence plus ou moins pernicieuse des maisons d’édition. Les libraires sont les vrais passeurs de livres. Le fait qu’ils se rassemblent pour décerner un prix littéraire garantit que ce dernier sera digne d’intérêt.
La reconnaissance de votre travail de traducteur dans ce Prix est-elle habituelle lors de la remise de Prix ?
Non, pas du tout. Les traducteurs sont habitués, au contraire, à ce qu’on ne parle pas d’eux, comme s’ils étaient des sortes de robots interchangeables dont le travail n’a aucune incidence sur la version française du livre étranger qu’on leur confie. Pourtant, si on se penche, par exemple, sur Lolita, le grand classique de Nabokov, on découvre dans la première traduction (Gallimard 1959) le travail admirable d’Eric Kahane, un modèle du genre, et dans la version « révisée » par Maurice Couturier en 1972 une sorte d’arnaque reprenant 99% du travail de Kahane en changeant un mot par-ci par-là, en général pour remplacer un choix pertinent par une erreur grossière. Par exemple, à la fin de la première partie, Humbert Humbert emmène Lolita dans sa voiture. Quand il s’arrête pour faire quelques emplettes, il précise : « I bought her four books of comics ». Kahane traduit logiquement : « je lui achetai quatre journaux illustrés ». Couturier, pas gêné, change la phrase et la remplace par : « je lui achetai quatre albums de bandes dessinées », ce qui n’a pas de sens : les comics américains des années 50 comme Tarzan ou Maggie étaient publiés aussi en France, et on appelait ça des illustrés, imprimés comme les versions américaines sur du papier journal, de qualité médiocre. Les albums de bandes dessinées avaient droit, eux, à une couverture rigide. L’erreur de Couturier est double : il ne choisit pas le bon terme, et il commet un anachronisme.
Comment voyez-vous la progression de ce Prix qui accueille aujourd’hui 240 libraires francophones jurés ?
Très positive : plus les jurés seront nombreux, plus les jugements seront étayés et pertinents.
Le Prix Libr’à Nous 2017 sera remis le 3 mars 2017 au Centre Wallonie-Bruxelles, à Paris.