[dropcap]A[/dropcap]u commencement était le titre, L’Heure des Oiseaux. De ceux qui pourraient nous faire croire que ce roman ne serait que douceur. Puis l’écriture, furtive et délicate, viendra presque confirmer cette impression. Les chapitres très courts et les mots minutieusement choisis confortent ce sentiment de retenue, comme si la plume s’excusait de s’être posée là.
Mais derrière son approche feutrée et poétique, ce texte raconte tout autre chose qu’une bluette légère. Il faudra quelques pages pour s’en apercevoir, mais quand cela arrivera, il sera trop tard : le lecteur sera définitivement ferré. Le piège est d’autant plus puissant si l’on rentre dans ce roman sans trop y croire. Désormais, il sera impossible de rester au bord de cette histoire.
Avec ce roman, tout est pourtant dans les marges. Déjà ce décor : Jersey, une île aux frontières, plus tout à fait normande, pas tout à fait anglaise. Une île symbole d’exil depuis que Victor Hugo s’y est installé au mitan de sa vie. Un lieu qui fleure bon l’air marin et les cottages un peu sauvages, dans une atmosphère définitivement hors du temps.
Mais là encore, les apparences sont trompeuses. L’île de Jersey fut aussi un enfer pour des milliers d’enfants car elle abrita un orphelinat d’une rare cruauté. Un lieu qui fut au cœur de la tempête au début du XXIe siècle pour une cascade de scandales qui ont déferlé dans l’actualité : les maltraitances s’y seraient multipliées, jusqu’à ce que mort d’enfants s’en suivent. Et à l’heure où ces lignes sont écrites, la vérité n’a encore pas totalement éclaté.
En temps normal j’aurai été séduite par la beauté de ce spectacle marin, mais depuis quelques jours je percevais la mer différemment : c’est elle qui avait permis à ces gens de vivre en paix avec leurs secrets, elle qui leur conférait cette arrogance. Maud Simonnot
Ce décor unique et nauséabond est au cœur de l’intrigue de L’Heure des Oiseaux. Une intrigue bâtie sur deux personnages, deux temporalités : d’un côté, une femme qui, sous couvert d’études ornithologiques, séjourne sur l’île encore sonnée par le scandale ; de l’autre, une jeune orpheline de l’époque où l’institution fonctionnait encore.
L’orphelinat, l’un des rares décors capables de rivaliser avec le château hanté dans la short list des lieux nimbés de mystères maléfiques. Un endroit chéri de la littérature glauque et gothique : puisqu’il recueille des êtres vulnérables et délaissés, il rend possible les pires horreurs… un thème éculé qui a produit nombre de polars vite oubliés, mais aussi quelques chefs d’œuvre – qu’il nous soit permis de citer ici « L’œuvre de Dieu la part du diable », d’un John Irving alors à son meilleur.
Le décor devient ici une splendide lame de fond que l’autrice a la finesse de renverser pour en faire l’envers d’un huis-clos. Il s’effacera devant les escapades de la petite Lily pour ré-enchanter son quotidien de brimades ; il aura même des airs de trou noir autour duquel tournera « l’étrangère » pour lever le secret de famille qui l’a conduite à Jersey des années après.
Après quoi d’ailleurs ? Elle-même ne le sait pas tout à fait. Mais sa détermination conduira à faire toute la lumière sur un drame qui ne demandait qu’à rester enfoui sur cette île où l’on ne parle pas. Sans crier gare, les révélations viendront secouer un lecteur trompé par un style tout en pudeur. Dans ce roman pointilliste, tout s’est joué entre les lignes. Impossible, même pour les plus insensibles, de ne pas trembler devant ce dénouement.
Sans jamais se départir de sa délicatesse, Maud Simmonot bâtit un roman déchirant qui viendra cueillir le lecteur sans avertissement.
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L’Heure des Oiseaux de Maud Simonnot
Les Editions de l’Observatoire, 2022
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