[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]issipons tout malentendu pour entamer cette chronique. Non, Bastarda n’est pas un énième groupe punkachien ou metalosidérurgiste ibérique comme pourrait le faire croire sa consonance. Au contraire. Le groupe vient plutôt des pays froids, la Pologne pour être plus précis et ne relève en aucun cas du metal ou autre musique subtilement bourrine.
Bastarda est donc un trio avec à sa tête Pawel Szamburski à la clarinette, Michal Gorczynski à la clarinette contrebasse et Tomasz Pokrzywnski au violoncelle. Outre le fait qu’à un Scrabble spécial nom propre c’est la victoire assurée avec 800 points d’avance, Bastarda pratique, comme vous vous en doutez, du jazz ou encore du classique. Ici vous opterez pour la seconde solution. Avec, toutefois, une spécificité : celle de transcrire de façon moderne la musique médiévale. Et plus précisément celle de Petrus Wilhelmi de Grudencz. Qui est Petrus Wilhelmi de Grudencz me demanderez-vous ?
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]D[/mks_dropcap]e Grudencz est un musicien né en 1392 et mort en 1480, compositeur de chansons ou motets (composition harmonique vocale, religieuse ou non, composée soit sur des textes liturgiques soit sur des poèmes profanes en langue vulgaire. Bref, l’ancêtre des Beach Boys si on y songe bien) dont l’œuvre a été découverte un peu par hasard dans les années 70 par Jaromír Černý qui, en étudiant les manuscrits tchèques du XVème siècle, fut frappé par les mots et la musique de certaines partitions. À y regarder de plus près, il découvrit que les textes étaient tous composés d’acrostiches ayant pour but de révéler à chaque fois le nom de leur auteur.
Maintenant, pour en revenir au présent, Szamburski et ses comparses ont décidé de mettre en lumière l’œuvre de Grudencz en la modernisant. Pour cela, ils vont improviser en utilisant la technique de la viola bastarda (pourrait-on y voir un quelconque rapport avec le nom du groupe ?), proche de la viole de gambe et utilisée en Italie au XVIème et XVIIème siècle afin de rendre sa musique plus accessible.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]ussi, pour des néophytes comme votre chroniqueur, le résultat est à la fois très austère et séduisant, marchant autant sur les plates-bandes du classique que celles du jazz ou d’un klezmer (dont les musiciens sont issus, doit-on le rappeler) sous Tranxene. Austère car les compositions sont lentes, les silences omniprésents (notamment sur Presidorum), l’atmosphère pesante, la tonalité grave, plus propice au recueillement qu’à la fête malgré l’influence palpable de de la musique klezmer. Mais aussi très séduisant car l’austérité dont fait preuve le trio leur permet de développer les morceaux en toute quiétude, de faire évoluer les boucles, ces motifs répétés à l’envie, vers un crescendo mélodique par moment quasi hypnotique (Pax Eterna). Parce que ce si Promitat Eterno est austère, il n’en n’oublie pas pour autant d’être mélodieux voire parfois lumineux (Promitat Eterno, ultime pièce de l’album avec son piano délicat soutenu par le violoncelle puis la clarinette de Zwamburski, est un morceau où la mélancolie se fissure pour laisser place à une certaine sérénité) donc accessible.
C’est d’ailleurs une qualité que l’on peut reconnaître au trio : celle de ne pas nous laisser sur les bas-côtés, de ne pas nous perdre complètement et ce grâce à la volubilité (relative certes) de la clarinette qui tentera toujours de faire contrepoint à cette austérité. Autre qualité rendant Promitat Eterno plus accessible : le fait que le trio vienne du jazz. En effet, de par ses pulsations (sur Presulem notamment), celui-ci innerve totalement l’album et permet une approche plus novatrice de la musique médiévale, ouvrant celle-ci à un public pas forcément destiné à en écouter. Et c’est là peut-être le plus grand mérite de Promitat Eterno car, outre ses qualités mélodiques indéniables, sa grande exigence, force est de reconnaître qu’ouvrir l’auditeur à d’autres champs musicaux est un talent que peu de groupes peuvent se targuer d’avoir. Bastarda fait partie de ces rares passeurs. Il serait dommage de le négliger.