Parce qu’il a produit des ouvrages parfois jugés incompréhensibles, dont deux comportent plus de mille pages (L’Arc-en-ciel de la gravité fut tout de même récompensé par le National Book Award en 1974), parce qu’il semble avoir renoncé aux codes de la fiction traditionnelle et parce qu’il élabore des intrigues complexes avec une profusion de personnages qui donne parfois le vertige, Thomas Pynchon est un auteur réputé « difficile » et, pour cette raison pas tout à fait justifiée, peu lu – du moins, pas suffisamment.
Quatre ans après l’étonnant Vice caché, qui relatait les errances psychédéliques d’un privé à Venice Beach dans les années soixante-dix sur fond de magouilles immobilières et que Paul Thomas Anderson a pris le pari d’adapter au cinéma, Pynchon revient avec un roman qui paraît, à première vue, aussi accessible que le précédent.
Maxine, comptable spécialiste des fraudes fiscales, a des allures de détective privé, elle possède d’ailleurs une arme, bien qu’elle ne soit pas censée s’occuper d’affaires dangereuses. Lorsque son ami Reg, qui réalise un film sur hashslingrz, une société de sécurité informatique new yorkaise, lui fait part des soupçons qu’il nourrit à l’égard de la compagnie et de son propriétaire, Gabriel Ice, elle se lance dans une enquête qui va la mener à découvrir de mystérieuses transactions financières et un meurtre dans un hôtel où règne une atmosphère étrange, ainsi qu’aux prémices du 11 septembre 2001.
Membres de la mafia russe, programmeurs adeptes de l’open source, blogueuse impertinente, probable ex-agent devenu infréquentable et livreur qui surgit à l’improviste, tels sont quelques-uns des personnages que l’auteur prend plaisir à mettre sur la route de Maxine, dont l’opiniâtreté ne faiblit jamais. Les lecteurs qui craignent de se noyer dans ce flot de portraits hallucinants jugeront sans doute utile de se munir d’un carnet, pour y noter le nom et la fonction de chaque protagoniste.
Fonds perdus est un roman captivant, qui peut se lire comme un thriller, dont certains passages se révèlent extrêmement drôles. Truffées de références à la culture populaire, ces cinq cents pages exaltées nous livrent également une brillante analyse d’Internet, sans jamais verser dans l’argumentation pontifiante ou le discours simpliste, donnant l’occasion à l’auteur d’explorer une nouvelle fois la société américaine avec cette sorte d’extra-lucidité qui lui est propre, à la limite de la paranoïa, mais incroyablement convaincante.
Le style Pynchon, c’est un ouragan d’ironie mordante et de jeux de mots en pagaille, un souffle vivifiant et jubilatoire – prophétique ?
En somme, il faut lire Thomas Pynchon, et Fonds perdus ressemble au meilleur moyen de découvrir cet écrivain hors-normes, dont on aimerait qu’il figure au plus vite sur la liste des prescriptions scolaires de tous les lycées du pays.
Thomas Pynchon, Fonds perdus, Éditions du Seuil, août 2014
Merci à l’excellent traducteur, Nicolas Richard, pour sa disponibilité et son explication d’un jeu de mots initialement perçu comme une faute de frappe.
Ca fait des années que je tourne autour de cet auteur sans jamais me lancer. Tu penses que celui ci est donc le meilleur pour commencer ou tu en conseilles encore un autre. J’avoue que les 1000 pages de 2 dont tu parles me rebutent légèrement 🙂
Tu peux commencer par Vente à la criée du Lot 49, qui est incontournable, ou par Fonds perdus, meilleur que Vice caché, à mon avis – j’attends l’adaptation de Paul Thomas Anderson avec impatience…