[mks_dropcap style= »letter » size= »52″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]S[/mks_dropcap]’il est un musicien auquel on ne pourra pas reprocher son éclectisme, c’est bien Jacob Ware alias Rapt. De lui, on sait peu de choses : qu’il est Anglais, de Brighton, qu’en tant que bassiste, il a co-fondé en 2013 Enslavement, groupe de Brutal Death Metal, auteur l’an dernier d’un Filth plutôt âpre, aussi bref que tendu et que son amour de la musique l’amène à parcourir des territoires diamétralement opposés. La preuve ? Déjà, entre Enslavement et Rapt, son projet solo, on navigue dans les extrêmes : d’un côté un Death concis et bien rageur, de l’autre un Slowcore superbement mélancolique façon Barzin. Et mieux encore, dans le même projet, Rapt donc, vous passez d’un Folk Slow(dive)core à la Minimal Techno d’un Gas voire à l’Ambient hypnotique d’un William Basinski et ce, à talent égal.
Vous me direz : comment est-ce possible ? Simple, vous rétorquerai-je, il suffit juste de choisir l’orientation du disque. Rapt, album homonyme de 2018, sous couvert d’insomnie et de pensées en boucle, explorera la sphère électro de sa pratique musicale, à savoir la Minimal Techno ainsi que l’Ambient. None Of This Will Matter, sorti le 2 octobre dernier, verra quant à lui le songwriting prendre le dessus sur le soundwriting. Pour ce faire, Ware va sortir les guitares acoustiques, faire appel à Demi Haynes au chant, Fernando Mendez aux guitares puis convoquer la mélancolie de Barzin, la fragilité de Rivulets et la beauté de Slowdive pour écrire un disque sensible, délicat, à la beauté vaporeuse, parfait compagnon des matinées automnales.
A peine quatre mois après, le voilà qui réalise à nouveau un grand écart en sortant Drouth, album d’une cohérence et d’une maîtrise impressionnantes. Composé entre 2018 et 2020, il est la suite logique de Rapt dont il reprend les codes (minimal techno, ambient) et la structure (5 morceaux sans titres).
Et soyons clair : Drouth démarre très fort. Ware, dès les premières secondes de I, pose le décor et happe l’auditeur avec un travail sur les textures sonores de très haute volée, à la fois complexe et d’une fluidité rare. A première vue, c’est de la minimal techno assez basique : des nappes de synthés, une ambiance un peu ouatée, sourde, une pulsation et beaucoup d’épure. Sauf qu’en chaussant le casque, ça s’avère beaucoup plus complexe. Différentes strates vous accueillent : une nappe synthétique, sur laquelle se dresse quelques bribes de classique, une mélodie se dessine, un chuintement puis, à bas bruit, arrivent la pulsation et enfin la basse, qui détruit tout sur son passage. Au bout d’une minute, la perte de repères se fait de plus plus prégnante, l’hypnose fonctionne à plein tube, vous êtes installé et rien ne pourra vous faire déchausser votre casque avant la fin de V. Parce qu’entre la première et la dernière seconde de Drouth, Ware maîtrise son sujet à la perfection et vous emmène là où il veut. Comme Gas, son talent est de rendre sa musique cinégénique, à la fois très visuelle et très écrite.
Si vous écoutez Drouth d’une façon assez distraite, vous remarquerez qu’il est construit comme un scénario disposant de tous les effets nécessaires au maintien de l’attention (captation de l’auditeur par l’hypnose, le calme ensuite avant un long morceau tendu, oppressant. Puis arrive le relâchement et, pour conclure, un final assez bouleversant, long crescendo émotionnel renvoyant à William Basinski, se terminant comme une fin de vie : quelques battements difficilement perceptibles et enfin le silence, spectral). Mais si vous êtes plus attentif aux détails, vous verrez, comme je le disais précédemment, que son travail sur les textures, cet assemblage musical, s’apparente presque au travail d’un peintre. Comme lui, il utilise les instruments mis à sa disposition pour créer différentes strates, qu’il ajoute, retire, suivant le résultat souhaité, d’un abord abstrait, mélangeant organique et électro, samples et véritables instruments, minéral et fluide, utilisant les accidents, les dissonances, les silences pour faire avancer son travail, retenir l’attention et réaliser au final un tableau d’une parfaite cohérence. Abstrait certes, mais d’une étonnante familiarité.
Et c’est là le grand talent dont fait preuve Ware, enfin Rapt, sur Drouth. Celui de manier à la perfection l’abstraction, le minimalisme sans pour autant laisser l’auditeur sur la touche. Celui de choisir des boucles, des phrases mélodiques qui vont vous surprendre, de piocher chez certains groupes (II évoque le Troum d’AIWS, I et III Gas, V Basinski) le meilleur pour laisser de côté le plus ardu. Celui, au final, d’avoir une vision précise de ce qu’il veut et surtout de parvenir à la mettre en musique .
En somme, avec Drouth, Rapt construit ici un des disques de Minimal Techno/Ambient les plus passionnants de ces dernières années, sorte de suite logique du Narkopop de Gas tout en étant moins rêche, moins abrupt. Un disque pensé d’un bout à l’autre, où rien n’est laissé au hasard (pour preuve : certains éléments présents sur I se retrouveront sur V), une sorte de piège dans lequel il est difficile de ne pas tomber hormis si vous êtes réfractaire à l’Ambient et à la Minimal Techno. Inutile de vous dire que nous sommes là en présence d’un grand disque.
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Drouth – Rapt
Z Tape Records – 28 février 2021
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Image bandeau : Photo de Monique Poirier (pack presse)