[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#56a3bf »]S[/mks_dropcap]i vous ne connaissez pas encore l’œuvre de Goliarda Sapienza, cette grande dame de la littérature et de la culture italienne, c’est le moment de vous rattraper avec l’édition inédite de Rendez-vous à Positano aux éditions Le Tripode.
La vie de cette femme est tumultueuse, faite d’incompréhension dans son pays natal, l’Italie, mais aussi mêlée d’une certaine d’admiration, tant elle fut une icône de la culture transalpine, côtoyant les réalisateurs et les grands metteurs en scène du réalisme des années 1950 et 60.
Mais, pour son écriture, elle fut confrontée à la défiance de la part des éditeurs, L’Art de la Joie ne sera publié qu’à titre posthume, les ouvrages précédents ne connaîtront qu’un succès d’estime ou l’indifférence, un rendez-vous manqué entre le monde des lettres italiennes et cette femme passionnante et passionnée, entière et insoumise.
En France, il a fallu attendre 2005 pour découvrir cette immense auteure avec la publication de L’Art de la Joie chez Viviane Hamy, rencontrant un élogieux accueil de la critique, un soutien des libraires et un succès auprès des lecteurs, ce livre est disponible aujourd’hui en poche dans la collection Météores du Tripode.
Rendez-vous à Positano est l’histoire d’une rencontre entre deux femmes, réalisée par le hasard de la vie, certains diraient le destin.
À la fin des années 40, Goliarda est en repérage pour un film, on lui a parlé du petit village coincé entre des collines et un bras de mer, marqué par une indolence, Positano.
Au détour d’une ruelle, elle aperçoit une silhouette énigmatique qui éveille sa curiosité. Il s’agit d’Erica, une femme sensuelle et magnétique, fascinante, Goliarda se reconnaît en elle un peu comme son double, la même manière d’embrasser la vie, de s’affranchir.
C’est le début d’une relation fusionnelle, passionnelle entre les deux femmes, des rencontres qui vont s’espacer dans le temps, une course contre l’oubli, symbolisée par cette nuit où Erica va se livrer, comme une catharsis, tout dire parce qu’elle a enfin trouvé en Goliarda une oreille bienveillante et attentive, raconter son destin émaillé de renoncements, de moments funestes, un destin romanesque fait de brisures, mais tout est authentique.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#56a3bf »]C[/mks_dropcap]’est une course contre l’oubli, il faut s’empresser de tout noter, tout décrire pour éviter que tout disparaisse, tout raconter presque à s’en étouffer, perdre son souffle.
Dès les premières lignes l’écriture vous saisit, vous attrape, vous capte pour ne plus vous lâcher. Mélancolie, amertume, regret, profond amour, ce sont les différentes tonalités qui transpirent dans le style de notre auteure.
Les rencontres entrecoupées de plusieurs années n’empêchent pas de reprendre leur cours où elles se sont arrêtées, plus besoin de préambule, il ne faut pas perdre de temps comme s’il était compté ; le ton est imprégné de tristesse et de nostalgie, mais c’est aussi la danse des mots, de la sensualité, la féminité assumée.
Positano est aussi un personnage à part entière, des figures locales vont égrainer le récit, des visages familiers qui vont vieillir et que l’on va retrouver à chaque fois que les deux femmes se revoient, comme si nous prenions des nouvelles de vieux amis, un plongeur, un pêcheur.
Ils voient aussi le village se transformer. Ils le déplorent d’ailleurs, il perd son attrait d’antan, une grand route est en train d’être construite, un flux de cars ininterrompu commence à se manifester, dénaturant les lieux et la tranquillité des autochtones. On les voit ces ruelles étroites, ces escaliers escarpés, cette chaleur qui pèse sur la petite cité opiniâtre qui vit au ralenti.
On garde longtemps après la lecture achevée de ce roman, les images de ce petit village typique qui ne tombe pas non plus dans la caricature de la Dolce Vita, même si ici les Vespa sont remplacées par les hors-bords, nous sommes épargnés par ces clichés italiens plutôt urbains. On espère seulement qu’il puisse garder son âme et sa quiétude, qu’il ne succombe pas au poids du béton et de l’urbanisme à outrance.
Et puis, cette rencontre entre ces deux femmes continue de nous habiter, on se les figure assises l’une en face de l’autre, s’écoutant et s’épaulant mutuellement parce que les mots employés par Goliarda Sapienza sont justes, ils nous ont touchés au plus profond de nous-mêmes.
Rendez-vous à Positano de Goliarda Sapienza, traduit par Nathalie Castagné, éd. Le Tripode, mars 2017.