Rhapsodie balkanique de Maria Kassimova-Moisset paraît en ce mois d’août aux éditions des Syrtes dans la traduction de Marie Vrinat. Traduit en français depuis le bulgare, le texte chantonne quand même en grec, en turc, en bulgare. Subrepticement, il installe dans la tête du lecteur la sensualité et la douceur de ces territoires chamarrés où les langues, les cultures, les traditions se mélangent et s’accrochent, et ce depuis des siècles.
Maria Kassimova-Moisset questionne sa lignée, son ascendance. Rien de plus frustrant que la disparition des réponses en même temps que la disparition de celles et ceux qui les détenaient. Et il s’avère que son ascendance, une jambe de chaque côté de la Mer Noire, fut porteuse d’un récit d’une modernité stupéfiante. Figure de proue du récit: Miriam, la grand-mère de l’autrice.
« C’était toujours comme ça avec cette Miriam – son destin était le seul à ne pas donner des signes, il ne marquait rien et ne cherchait pas à être partagé. Elle était ainsi, Miriam depuis sa naissance – il était impossible de la percer à jour. Et cette fois encore, la voilà dressée devant sa mère à la regarder droit dans les yeux, sans ciller, sans même cacher sa jambe sur laquelle lentement coule une nouvelle goutte de sang et, cette fois encore, « c’est à toi de me de me dire, maman », qu’elle fait, « c’est à toi de me dire »… »
─ Maria Kassimova-Moisset, Rhapsodie balkanique
Nous découvrons Miriam en 1924 aux côtés de sa petite soeur, Mila, de Theotitsa, sa mère grecque et son père, Todor, bulgare. Ils vivent à Bourgos, petite ville sur la côte de la Mer Noire.
Entre les traditions religieuses et les superstitions païennes qui constituent l’engrais de ces régions, Miriam choisit d’être l’unique maîtresse de son destin et de ses choix. Theotitsa demeure inflexible et drapée dans son autorité toute orthodoxe jusqu’à la séparation d’avec sa fille aînée – « Tu évolues dans la maison comme une icône animée » lui dit son mari un jour, après le départ de Miriam; « Sûrement parce que c’est ce que je suis devenue », répondit Theotitsa. Que sa fille lui tienne tête, soit, qu’elle choisisse pour aimer un Ahmed, il en était hors de question.
Ahmed, jeune turc dont les parents étaient venus en Bulgarie pour se trouver une vie, est aussi doux que Miriam est passionnée et fugueuse. Leur confessions respectives n’ont aucune importance, pour l’un comme pour l’autre, c’est la vie qui compte. Et pour pouvoir aspirer à une vie tranquille, deux inconnus dans une grande métropole, ils mettront le cap sur Istanbul.
Le roman de Maria Kassimova-Moisset a la force de ses personnages, passionnés et obstinés, sûrs de leurs choix, de leur capacité à traverser toutes les épreuves. Miriam, l’incroyable Miriam, que l’on suit en apnée à certains moments du récit, est l’une de ces figures qu’il sera difficile d’oublier après la lecture du roman.
La narratrice prend à quelque reprises la liberté d’intervenir dans le texte, en imaginant des dialogues avec les personnages – qui sont aussi sa famille. Ces incursions, très bien maîtrisées, permettent au lecteur de mieux appréhender le contexte de l’époque, ils constituent un pont entre deux mondes, entre hier et aujourd’hui.
Enfin, j’ai été très touchée par la puissance évocatrice du roman, grâce à une langue poétique et à la magnifique traduction de Marie Vrinat : Bourgos, Istanbul, en lisant nous y sommes, on sent les parfums, la brise de la Mer Noire, la lessive de Theotitsa, le vent et le soleil sur la peau.
Rhapsodie balkanique se lit, s’écoute et se voyage. On en sort un peu secoué(e) et heureu(se)x de l’avoir traversé.
Maria Kassimova-Moisset sera en France au mois de septembre : le 18/09 à la Maison de l’Europe à Bordeaux et le 21/09 à la librairie L’Attrape-Coeurs Paris 18e.
Rhapsodie balkanique de Maria Kassimova-Moisset
Traduit par Marie Vrinat
Editions des Syrtes, 22 août 2023