[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]Ç[/mks_dropcap]a commence lentement, comme un vieux blues, avec du banjo, un rythme lent et nonchalant qui ne vous quitte pas et cette voix féminine qui vous renvoie directement au Crossroads de Robert Johnson. Ce rythme binaire, mais tellement entraînant avec cette voix qui nous dit : « tu peux prendre mon corps, tu peux prendre mon sang, mais pas mon âme. ». Voilà, le ton est posé.
Bienvenue dans le nouvel album de Rhiannon Giddens qui sonne comme s’il avait été enregistré dans les mêmes eaux que Sticky fingers. Originaire de Caroline du Nord, USA, Rhiannon Giddens s’est fait connaitre via son premier groupe Carolina Chocolate Drops, avec un Emmy Award à la clé, puis s’est distinguée dans un concert autour du film des frères Coen : Inside Lewin Davis. Son premier album a été produit par rien moins que T-Bone Burnett, musicien et producteur mythique derrière une pléiade d’albums tout aussi mythiques. Freedom Highway est son deuxième album, et c’est une merveille pour les amateurs de folk à l’ancienne, de musique des racines, d’americana roots.
Dès le deuxième morceau, une reprise à l’épure, de Mississippi John Hurt, The angels laid him away, une simple guitare, une voix, nous ramènent de manière simple mais magnifique aux racines de la musique américaine, et sonne comme s’il avait été enregistré dans les années 30.
Il y a un son cru sur cet album, une production simple, sans chichi ou effets indigestes, au plus près du micro, comme sur Julie, avec un accompagnement tout en douceur, mais très riche, plein d’accords blues, avec la voix en avant, pour un chant au désespoir. C’est triste, mélancolique, mais que c’est beau.
Birmingham sunday fait apparaitre un orgue au son chaud, sur une chanson plutôt orientée ballade country, qui rappelle le splendide album soul de Catpower, The Greatest, avec cette instrumentation riche mais discrète qui met en avant la voix de Rhiannon Giddens. Après quelques titres enregistrés en petite formation, soudain, c’est tout un groupe qui fait son entrée, et pourtant, à l’oreille, rien ne transparaît. C’est un disque à la beauté ténébreuse qui oscille constamment entre blues, country, folk, soul et gospel, un disque qui trempe dans la musique noire.
Après cette atmosphère mélancolique, Better get it right the first time débarque comme si Rhiannon Giddens avait envie de se lâcher, ce morceau vient faire un break dans l’ambiance blues, pour proposer presque un mid tempo quasi mainstream tout en progression avec débarquement de cuivres, voix qui monte dans un registre soul, et même une intervention spoken word de Justin Harrington plutôt surprenante après ces tonalités sombres.
C’est un album tantôt mélancolique comme sur We could fly, très Joan Baez, tantôt joyeux, avec ambiance jazz New Orleans sur Hey baby. Cet album joue avec nos émotions et nos sentiments et fait furieusement penser à la BO de Soul of a man, le doc de Wim Wenders consacré au blues. Il trempe dans le même bayou des origines de la musique américaine, et vous prend aux tripes de la même manière. Pour la petite histoire, on retrouve T-Bone Burnett sur ce disque, comme quoi…
C’est l’alternance des ambiances qui nous achalande, mais aussi et surtout cette voix, majestueuse qui porte le tout, et qui porte ses textes. Rhiannon Giddens a écrit la plupart des titres, et c’est une voix qui s’élève contre une certaine Amérique blanche. En effet, Rhiannon Giddens est métisse, mère noire, père blanc, née dans un état sudiste, encore fortement imprégné de l’esclavagisme, et ceci ressort dans ses textes.
L’album se clôt sur Freedom Highway, véritable festival soul, tout en progression, tout cuivres dehors, qui pourrait ne jamais s’arrêter tellement c’est bon. Ce titre n’est pas anodin, c’est d’abord la reprise d’un titre des Staples Singers, et surtout le nom d’une campagne de 1962 promouvant l’égalité raciale, notamment dans les hôtels et restaurants. Ainsi l’album se termine sur un morceau très symbolique.
Voilà un bel album de musiciens, c’est à dire, un disque où la musique ne fait pas qu’accompagner la voix, mais où chaque musicien apporte sa pierre à un édifice musical. Un disque qui sonne comme un retour aux sources du blues primal, un beau disque érudit qui donne envie de se replonger dans les racines de la musique américaine, qui vous prend par les sentiments, qui jongle entre les ambiances et les styles.
Rhiannon Giddens, Freedom Highway
Nonesuch records, 2017