[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]2016[/mks_dropcap] : la collection Rivages / Noir a trente ans et mille ouvrages à son actif, avec pratiquement tous les auteurs qui ont marqué le genre, de Jim Thompson à Ed Bunker en passant par John Harvey et Stuart Neville. Un style, un goût très sûr, une vraie passion : une collection unique que son créateur, François Guérif, a recensée en familles sur le site de Rivages. Il y a presque 30 ans, à quelques mois près, paraissait chez Rivages Lune sanglante, un roman extraordinaire signé par un certain James Ellroy. Suivi presque immédiatement par A cause de la nuit et La colline aux suicidés : la trilogie Lloyd Hopkins, qui met en scène le policier « Lloyd le dingue » et qui attirera très vite l’attention de Jean-Patrick Manchette. En 1988, ce sera Le Dahlia noir… la suite fait partie de l’Histoire ! Double anniversaire donc : celui de Rivages / Noir et celui du débarquement en France d’un des auteurs qui continue de marquer l’histoire de la littérature internationale, tous genres confondus.
En septembre, James Ellroy était l’invité du Festival America de Vincennes.
Réunir François Guérif, James Ellroy et son traducteur Jean-Paul Gratias nous est apparu comme un beau moyen de rendre hommage à un éditeur d’exception, à son auteur « historique » et à son passeur de mots, et de leur souhaiter un très bel anniversaire. C’est dans les salons d’un hôtel parisien, à l’heure du café et des croissants, que nous avons rencontré les trois mousquetaires. Écoutons-les.
Velda : François Guérif, comment avez-vous découvert les premiers romans de James Ellroy ?
François Guérif : C’est très simple : un agent me les a envoyés, et j’ai été immédiatement transporté. Je pensais que jamais on n’avait parlé de la violence ainsi, avec ce recul très particulier. J’ai rappelé l’agent, qui m’a dit qu’il y avait TROIS romans, et qu’il fallait les acheter tous les trois. A l’époque, la collection démarrait, et Edouard de Andreis, le fondateur de Rivages, n’était pas très chaud. Mais j’étais tellement convaincu et convaincant que j’ai fini par gagner la partie… C’était le début de l’histoire. Deux ans plus tard, nous avons fait venir James à Paris.
James Ellroy : A l’époque, je n’avais jamais mis les pieds en Europe, et encore moins en France. Je ne parlais pas un mot de français, je n’avais jamais mangé de nourriture française. C’était au printemps de 1988, je venais d’avoir 40 ans, et j’étais venu avec ma première épouse, Mary. Nous étions logés à l’hôtel des Saints-Pères, près des bureaux de Rivages, et François et moi sommes vite devenus très amis. Nous aimons tous les deux les films policiers, la même période de films noirs, et nous sommes capables d’en parler des heures durant. Nous nous testons mutuellement : François est le seul qui en sache plus que moi sur le sujet, en-dehors de Eddie Muller *, peut-être.
V : Comment s’est déroulé le début de la relation ?
FG : Le premier contact a été formidable. James peut être surprenant, c’est vrai, mais tout a très bien démarré entre nous. Je me rappelle que j’étais avec son traducteur de l’époque, Freddy Michalski, on était allés prendre un café en attendant James. Il est arrivé, et la première question qu’il m’a posée, c’était : « De mes romans, lequel préfères-tu? ». Tout de suite, il a été question de littérature. Il était évident qu’avec cet homme-là, il allait être question de son travail, et de littérature. Ce n’était pas quelqu’un qui rêvait de devenir une star.
JE : J’ai fait tellement de tournées pour mes livres ! Je suis venu en France 25 fois, au bas mot. Et je suis allé ailleurs en Europe, bien sûr. Au cours d’une de ces tournées-là, j’ai fait une dépression nerveuse. Et j’ai senti tout de suite que si je pouvais aller en France, j’irais mieux.
V : Un peu comme rentrer à la maison ?
JE : Oui, c’est le problème avec les tournées : on n’est pas à la maison. On dort dans des lits d’hôtel inconnus, on rencontre des inconnus, et avant d’avoir eu le temps de dire ouf, on se retrouve face à des cafards qui vous parlent ! « Salut, mec, comment ça va? » Cela me fait penser à une scène du Cercle rouge, de Jean-Pierre Melville, où Yves Montand fait une crise de delirium tremens : il voit tout un tas de bestioles ramper sur lui, des rats, des lézards, c’est affreux mais c’est drôle aussi à cause du truquage de l’époque. Vous vous rappelez ? En plus, une fois ce mauvais moment passé, Yves Montand se redresse, il redevient le beau mec bien habillé et il file s’occuper de son hold up ! Vous vous rappelez ce film ?
V : Oui, bien sûr, c’est le meilleur film de Melville, non ?
JE : Oui, je suis d’accord.
FG : Non, je crois que son meilleur, c’est le Deuxième souffle, qui est sorti quatre ans avant, en 66.
JE : Avec Lino Ventura ?
FG : Oui.
JE : Il est flic ?
FG : Non, gangster.
JE : Il faut que je voie ça. Noir et blanc?
FG: Oui.
JE: Il existe en DVD ?
FG : Oui, chez Criterion, je crois.
JE : Mon personnage préféré dans Le Cercle rouge, c’est André Bourvil, ce flic homosexuel qui vit dans un petit appartement rempli de chats…
FG : Cet appartement, c’était le bureau de Melville, et c’étaient les chats de Melville, aussi !
V : Bourvil était très malade au moment du tournage. C’était son dernier film, je crois ?
FG : Non, il a fait Le mur de l’Atlantique juste après, c’était très mauvais.
JE : Vous avez une chance incroyable d’avoir ces trois comédiens dans le même film : Gian Maria Volonte, que Melville détestait, Alain Delon et Yves Montand. Et Bourvil, dans le rôle du policier homosexuel. Ce n’est jamais dit, mais on le voit bien… C’est un film très lent, très subtil.
V : Comment expliquez-vous votre succès en France ?
JE : Ici, la critique continue à faire vendre, un peu comme en Angleterre. En France, la critique peut encore faire le succès d’un livre. C’est ce qui est arrivé avec Jean-Patrick Manchette et son article dans Libération.
V : François, pensez-vous que ce soit encore le cas ?
FG : Non, pas vraiment. Enfin, ça dépend du critique ! Mais avec James, nous avons eu beaucoup de chance. Le premier article important était signé Jean-Patrick Manchette, qui n’avait rien écrit depuis dix ans et qui était considéré comme le maître du polar en France. Le fait qu’il signe ce papier a marqué les esprits.
V : En plus, Manchette était aussi un théoricien, une chose qu’on aime bien en France.
FG : Oui, et il connaissait très bien l’histoire du roman noir, l’histoire de l’écriture. Quand on lit les chroniques de Manchette, qu’on a publiées chez Rivages, on voit qu’il ne s’intéresse qu’à l’écriture, au style.
V : Un peu comme vous, James ?
JE : Non, je ne suis pas d’accord avec ça. Pour moi il y a trois choses essentielles : l’histoire, les personnages et le style. L’essentiel c’est l’histoire. C’est pour cela que je planifie beaucoup. En réalité, j’écris mes livres deux fois. D’ailleurs j’ai rendu mon manuscrit juste avant de venir en France.
V : Justement, François, lisez-vous les manuscrits de James avant qu’ils ne paraissent en anglais ?
FG et JE : Oui !
V : C’est une relation très spéciale que vous entretenez. Habituellement, l’éditeur qui publie des ouvrages traduits n’a pas vraiment accès au texte avant que sa sortie soit imminente dans la langue d’origine. Vous, François, vous lisez les manuscrits de James ?
FG : On ne peut pas dire que je travaille dessus, bien sûr, mais il me les envoie, et je les lis, assurément. Et nous en parlons beaucoup.
V : Jean-Paul, vous êtes prêt pour le prochain ?
JPG : Fin prêt. Je n’attends plus que le manuscrit !
V : Quel rôle joue la qualité de cette relation personnelle dans votre loyauté envers Rivages ?
JE : Cette loyauté à François vient aussi de la durée. J’ai assisté à toute l’histoire de Rivages, en fait. En particulier avec Jacqueline Guiramand, qui a réellement créé l’image graphique étonnante de Rivages Noir.
FG : Jacqueline a travaillé avec nous jusque très récemment. C’est elle qui donnait l’impulsion esthétique pour les couvertures. Elle trouvait toujours un moyen de renouveler l’image d’une façon particulièrement réussie.
V : Jean-Paul, comment avez-vous commencé à travailler sur le travail de James Ellroy ?
JPG : Quand François Guérif me l’a demandé, ça a été un immense OUI.
V : Vous n’avez pas été un peu effrayé par l’ampleur de la tâche ?
JPG : Si, bien sûr. C’est beaucoup de travail, mais c’est tellement excitant : devoir trouver en français quelque chose qui fonctionne aussi bien qu’en anglais – ce qui est en réalité impossible, vu la différence énorme de rythme entre les deux langues. On perd forcément quelque chose en français : il y a beaucoup de mots courts en anglais, et pas tant que ça en français… Toute traduction de l’anglais en français prend au moins 10 à 15% en volume !
JE : Et oui, voilà pourquoi les livres français sont si gros. Et encore, vous devriez les voir en néerlandais et en allemand !
V : Au fait, vous écrivez toujours vos manuscrits à la main et en capitales ?
JE : Oui, bien sûr. En fait je passe ma vie à écrire : regardez (là, James Ellroy désigne l’intérieur de son majeur droit) : j’ai un durillon à force d’écrire. De temps en temps, il s’infecte, je suis obligé de prendre des antibiotiques…
V : Jean-Paul, en tant que traducteur, quelle est la caractéristique principale du style Ellroy ?
JPG : Une écriture dense, précise, sans digressions.
V : Que pourriez-vous dire sur l’évolution de votre style ? Vous disiez hier, au Festival America, que, progressivement, vous passiez du style « boom boom » qui vous a rendu célèbre à un style plus sophistiqué, plus élaboré.
JE : Je n’utiliserais pas ces mots-là : je dirais qu’aujourd’hui mon style est plus expressif, plus généreux, plus large. Sans jamais digresser, sans jamais perdre le sens de mon propos. L’extrême concision qui m’est attribuée a considérablement évolué dans deux livres : White Jazz, qui est écrit à la première personne, une écriture « fracturée », qui raconte l’histoire de ce policier dont la vie est en train de se consumer, et aussi American Death Trip. Après ces deux-là, les choses évoluent radicalement.
V : Vous semblez être attaché à cette écriture à la première personne.
JE : Le Dahlia noir, déjà, était écrit à la première personne : l’histoire est racontée par le policier Bucky Bleichert. Dans White Jazz, où j’utilise pour la première fois mon style « fracturé », l’histoire est racontée par un flic pourri, Dave Klein. Les extraits à la première personne du journal de Kay Lake, dans Perfidia et dans le prochain livre, sont écrits dans une langue encore plus généreuse. Ce sont les mots d’une femme, j’y utilise des points-virgules pour indiquer sa façon de penser, les demi-pauses. Ce n’est plus du tout du « hard boiled », même si on sait tout de suite que c’est moi qui écris !
V : Et la subjectivité, en relation avec la 1e personne et la 3e personne ?
JE : Je vais vous donner un exemple. Dudley Smith est un type généreux, mais c’est un psychopathe. Il est généreux dans sa psychopathologie. Quand on se met dans sa peau, avec son point de vue, on voit bien que c’est quelqu’un qui rejette tout ce qui est différent : pour lui, les noirs sont des nègres, les homosexuels sont des pédés…
JPG : … et les Japonais sont des Japs.
JE : Voilà. Pour tout le monde, les Japonais sont des Japs parce que nous sommes en pleine Deuxième guerre mondiale, et qu’il s’y déroule des événements d’une barbarie inouïe. Des milliers de bébés chinois sont jetés par-dessus bord, on force les pères à violer leurs filles… C’est la guerre. Du point de vue de William Parker, qui est un homme à fortes convictions, et également un homme très religieux, à sa façon, un homme éclairé, un catholique romain du mid-west, on n’a pas cette pensée basée sur la discrimination raciale, et encore moins sa formulation. Chez Hideo Ashida, l’expert Japonais homosexuel, le langage est beaucoup plus guindé, il n’y a rien de grossier dans sa façon de parler. Et voilà, encore un autre niveau de langage. Et puis bien sûr, il y a Kay Lake et son propre point de vue. Avec ces quatre personnages de Perfidia et leurs points de vue, ce n’est pas moi qui écris, je ne m’exprime pas, ce sont les personnages. La subjectivité leur est propre : beaucoup de gens n’ont pas compris ça. Le point de vue change, chapitre par chapitre.
V : Et pour un éditeur, quelle est la spécificité de James Ellroy ?
FG : Une voix qui n’appartient qu’à lui. Je peux même dire qu’il est le meilleur. J’ai eu une chance inouïe de le rencontrer. Il vous emporte, il ne cesse de se renouveler. Il aurait pu écrire toute sa vie des enquêtes de Lloyd Hopkins et gagner beaucoup d’argent. Mais ça ne l’intéressait pas. C’est un véritable artiste, il aime les défis.
V : Vous vous qualifiez de bâtisseur, vous bâtissez votre œuvre et votre propre vie, c’est bien ça ?
JE : Oui, je suis un bâtisseur, c’est vrai. Et c’est quelque chose qui ne m’a pas aidé dans mes relations avec les autres… Je ne suis pas très bon quand il s’agit d’extrapoler ou d’improviser avec les autres. Les personnes avec lesquelles j’ai les liens les plus proches sont celles avec lesquelles je travaille. Et bien sûr mon grand amour, ma femme, ma partenaire, comme disent les gens de l’administration : Helen Knode est l’esprit le plus brillant que je connaisse, point final. A mon âge, 68 ans, plutôt en forme, la construction est quelque chose qui me préoccupe, par le fait d’entretenir mes talents. C’est pour cela que je travaille de plus en plus à la préparation de mes livres et de mes intrigues, je les élabore de plus en plus précisément et intelligemment. Quand je travaillais à la suite de Perfidia, le prochain livre, j’avais devant moi une grande toile blanche. Nous en avons parlé avec François d’ailleurs; j’aime, comme lui, les films en noir et blanc. J’irais volontiers voir un vieux film de Billy Wilder, même si je ne l’aime pas beaucoup – mais L’appartement est magnifique, tout ce noir et blanc… Donc j’ai cet écran, et planifier le livre, cela revient à déterminer la taille de cet écran; ça fonctionne ainsi : au départ, je pensais que la suite de Perfidia couvrirait 7 mois et se terminerait à un moment clé de la Deuxième guerre mondiale, la bataille de Midway, en juin 1942. Pour le Japon, la guerre était terminée très tôt, après une effroyable effusion de sang. Mais cela aurait fait un livre beaucoup trop long. J’ai donc commencé à raccourcir. Sinon, le livre aurait fait plus de 800 pages en anglais, et encore plus en français, ce n’était pas possible. Les gens auraient pensé que je suis payé au mot !
V : Jean-Paul est tout pâle !
JE : Oui, je vois bien. Donc je me suis mis à réfléchir intensément, la mise au point se fait sur l’écran blanc, en panavision. Il fallait que le livre se termine le 8 mai 1942. J’ai réussi à y mettre tout ce que je voulais : Hideo Ashida est interné dans un camp, la narration va et vient entre la Basse Californie, autrement dit le Mexique, et Los Angeles où Dudley Smith est officier dans les services secrets de l’armée, il cherche à s’en mettre plein les poches. Toutes les histoires d’amour sont là, elles s’entrecoupent. Le crime central se produit au premier tiers du livre, contrairement à Perfidia où le meurtre de la famille japonaise survenait au début. Tout est là parce que j’ai passé des heures à travailler, à regarder cet écran blanc. Ensuite vient l’étape de la prise de notes; puis les notes se complètent et deviennent une première ébauche formalisée. A ce moment-là, je me rends à New York, je vais voir mon éditeur et nous parlons du livre. Pour moi, ce début est le moment le plus difficile pour moi.
V : Le fait d’écrire un prequel vous donne-t-il plus de libertés ou plus de contraintes ?
JE : Plus de liberté. Je connais mes personnages, je sais comment ils parlent. Quand j’ai écrit Perfidia, je connaissais mes personnages, je savais lesquels j’allais y retrouver. Par exemple, Claire de Haven, la militante de gauche, figurait déjà dans Le grand nulle part, tout comme Buzz Meeks. Bucky Bleichert était dans Le dahlia noir, Kay Lake aussi. Kay Lake surtout…
V : Elle a pris une importance considérable.
JE : Oui, Helen pense que c’est mon plus beau personnage. Elle a probablement raison.
[mks_pullquote align= »left » width= »250″ size= »24″ bg_color= »#000000″ txt_color= »#ffffff »]Je suis un homme, et je suis partisan ! J. Ellroy [/mks_pullquote]
V : Je n’ose pas vous dire ce que j’en pense, étant une femme, on pourrait me trouver partisane.
JE : Je suis un homme, et je suis partisan ! Pour en revenir à cette idée de prequel, en fait cela m’épargne beaucoup de travail et me fait gagner du temps que j’aurais dû consacrer à la description de nouveaux personnages, etc.
V : Lors de votre débat d’hier, vous avez beaucoup parlé d’amour et d’amitié.
JE : Tout se nourrit de cette notion d’amitié telle que je la conçois. Je me suis épuisé à écrire du noir. Les choses ont commencé à changer quand j’ai divorcé de Helen, une séparation de dix ans. J’ai vécu un certain nombre de mésaventures romantiques, si j’ose dire, avec des femmes très intéressantes. Il y a un « trou » de plusieurs années entre American Death Trip et Underworld USA. En fait, je me reposais, j’écrivais pour la télévision et le cinéma, je gagnais de l’argent. J’ai pris mon temps, et puis je suis revenu, ma façon de voir le monde était différente, et mon écriture avait changé.
V : Hier, au cours du débat au festival America, vous avez parlé avec beaucoup de sévérité des séries télévisées, et notamment de The Wire.
JE : J’en ai vu 5 épisodes, on m’en avait beaucoup parlé. C’est vraiment l’essence même de l’écriture mâle, réellement sexiste. Des types qui se prennent pour des durs, qui écrivent comme des durs, des bavards, et le public adore ça… Un des premiers tenants de ce type d’écriture est Martin Scorsese, c’est un type complètement bidon. Ses films sont immoraux, jolis à regarder – du moins jusqu’à un certain moment – mais suffisants et souvent dépravés. C’est une écriture facile. Dans le genre, David Mamet est plus raffiné. Mais David Simon et The Wire… Avec ce genre de série, les gens ont l’impression d’avoir accès à un univers bien particulier, et c’est totalement illusoire. Moi, je connais les criminels, et je déteste ceux qui volent, qui dealent, qui violent. Je ne veux surtout pas entendre leurs putain d’excuses. Aujourd’hui, la grande justification, c’est la pauvreté ou le racisme. De la merde, tout ça. Il y a toujours eu des préjugés, de la pauvreté, du racisme, et ça n’a pas toujours évolué en criminalité. Tous ces auteurs s’imaginent qu’ils font de la critique sociale. Pour moi, ils sont co-signataires des actes criminels.
V : C’est un peu radical, non ?
JE : Ils passent leur temps à dire : « Regardez, l’Amérique est pourrie. » Et je n’y crois pas. Je crois que les Etats-Unis doivent rester à la manœuvre des affaires du monde. Je pense qu’il faut que cela continue, et que sans cela le monde ira à la catastrophe…
V : Quel sera le titre du prochain livre ?
JE : Je le garde pour moi, pour l’instant.
V : Et il fera 800 pages, Jean-Paul ?
JPG : Pourquoi pas ? Je suis impatient.
V : Est-ce que cela fait une différence pour vous, Jean-Paul, de connaître l’auteur que vous traduisez ?
JPG : Non, pas vraiment. Même si je n’ai jamais rencontré Jim Thompson, et pour cause, j’ai toujours plaisir à le traduire.
JE : Si Jean-Paul a une question, il peut toujours me demander…
V : En fait, tout cela est une question de confiance, non ?
JE : Oui, absolument. Le cercle rouge de la confiance…
JPG : Oui, et François me fait confiance…
V : Les traducteurs sont d’une importance capitale pour Rivages (cf notre dossier spécial traducteurs)
FG : On peut tuer un livre avec une mauvaise traduction. Certains traducteurs utilisent des niveaux de langage inappropriés, de l’argot quand il n’y en a pas, créent des atmosphères qui n’existent pas. J’ai confiance en Jean-Paul parce que jamais il ne traduirait un livre qu’il n’aime pas. La traduction est une chose fascinante.
JPG : J’ai en tête un exemple précis. Il y a quelques années, François a voulu me confier la traduction d’un roman d’une auteure, Vicki Hendricks. J’ai lu le texte, et je lui ai répondu : « Non, il faut donner ça à une traductrice. »
JE : Ah ! Vicki Hendricks… Une fois, j’ai fait une tournée de promotion avec elle. Elle avait écrit un livre qui s’appelait Iguana Love. Vous pensez que c’était une métaphore ? Non ! Dans le livre, la femme faisait vraiment l’amour avec un iguane. Vous imaginez ça ? N’importe quoi ! Ça me rappelle ma première lune de miel dans les Caraïbes, il y avait des iguanes partout, et ils n’étaient pas sauvages du tout. L’un d’entre eux m’a sauté dessus, très gentiment, comme un gros chat…
V : François, à quand la publication du prochain Ellroy ?
FG : Jamais je ne presse un auteur. Quand il m’enverra son manuscrit, on en parlera. Aujourd’hui, certains éditeurs préparent la promotion d’un livre alors qu’il n’est même pas encore écrit. C’est vraiment n’importe quoi !
V : Que pensez-vous des adaptations en roman graphique de vos romans ?
JE : L’artiste sait peindre et dessiner, il a du talent. Mais la BD ne m’intéresse pas. Parlez-moi plutôt de Donald Duck ! Ce personnage est enragé, c’est un sale type, il en veut au monde entier, et il a trois neveux. Je l’adore. Je ne mange jamais de canard. Donald Duck est le meilleur : après lui, à quoi bon faire d’autres BD ? Et vous savez quoi ? Vous verrez que dans le prochain roman, Buzz Meeks passe sa vie à se gratter les couilles en lisant une BD de Donald Duck.
V : Vous êtes le seul à être capable de conclure une interview avec Donald Duck ! Est-ce qu’on peut dire que malgré l’éloignement, tous les trois, vous faites une belle équipe ?
FG, JE et JPG : Oui, tout à fait…
Un grand merci à nos trois invités, et à ceux qui ont permis cette rencontre, notamment Hind Boutaljante et un certain SW, qui se reconnaîtra.
* Eddie Muller est un auteur américain, grand spécialiste du cinéma noir. Il est également président de la Film Noir Foundation. Son livre Dark City, le monde perdu du film noir, est disponible chez Rivages, dans une traduction de Benjamin et Julien Guérif.
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